La Chambre des cellules. Un conte philosophique à partir d’une étrange photographie.
C’est l’histoire d’une collaboration avec l’IA en vue d’explorer cette étrange image, en comprendre l’assemblage, ses significations sous-jacentes et son potentiel narratif.
Que faire dire à cette image ? C’est ce que l’on verra. Mais je peut déjà dire sur cette image : C’est une juxtaposition aléatoire d’objets naturels divers, appartenant tous à un environnement local commun. Une force “hydro-mécanique”, sans intention organisationnelle, est à la source de cet étrange et éphémère construction.
Selon l’IA, l’image représente “Un espace clos, ni sol ni ciel ; juste des replis de matière et des taches de lumière. Ici, le temps stagne à la frontière du frais et du pourri. Chaque créature ignore s’il s’agit d’un paradis invisible ou d’une morgue de botaniste.”
J’ai utilisé plusieurs stratégies de requête pour faire “parler” l’IA et me faire découvrir ses secrets. L’une d’entre elle fut de lui demander “Est-il possible de développer une histoire, une fiction, dont les personnages seraient présents dans cette image ? une sorte de conte, d'un style surréaliste.”
Voici le résultat. J’ai souligné les éléments les plus surprenant et/ou porteur de sens :
Conte surréaliste : « La Chambre des Cellules »
Photographié par une main absente, découvert par un œil qui doute.
Cadre : La Chambre des Cellules
Un espace clos, ni sol ni ciel ; juste des replis de matière et des taches de lumière. Ici, le temps stagne à la frontière du frais et du pourri. Chaque créature ignore s’il s’agit d’un paradis invisible ou d’une morgue de botaniste.
Trame en cinq stations
L’Annonce brisée
Le Fil-Sisal, tendu entre deux fibres, capte un souffle : « Le photographe ne reviendra plus. »
─ Conséquence : La Chambre pourrait s’effondrer (l’image pourrait être recadrée, comprimée, effacée). Samara voit là une occasion de fuite ; Pétale-Lilas, au contraire, redoute la dissipation lumineuse qui suivra.Le Conseil des Textures
Tous se rassemblent sur une nervure agrandie ; le Laminaire impose la règle : « On reste, on se pétrifie, on devient fossile – les archives ne mentent jamais. »
L’Épagneul Vert rigole : « Pour finir dans une base de données ? Très peu pour moi. »
Pétale-Lilas propose une troisième voie : ouvrir un passage vers la zone floue (l’ombre latérale de la photo) où, dit-on, règne un vent éternel.Traverse du Grain numérique
Ils découvrent un sentier granuleux : les pixels plus sombres de l’ombre.
─ Épreuve : À chaque pas la résolution change ; Samara se voit étiré, Pétale-Lilas se désature, le Laminaire se fragmente en bandes verticales.
Pendant ce chaos visuel, le Fil-Sisal cède d’un côté ; il n’est plus sûr de pouvoir raconter la suite.La Faille de l’Ex-Position
Au bord du cadre, un vide blanc – marge de la photographie – aspire la matière.
Samara s’élance, persuadé qu’au-delà, un vent authentique souffle. Il disparaît, muté en simple métadonnée (« obj-spl-001 »).
Pétale-Lilas hésite : partir reviendrait à perdre son parfum, rester à perdre sa couleur. Elle plante alors sa base dans la texture, devient racine de rien, mémoire pure.
Le Laminaire, voyant l’entropie, tente de se redresser : il se casse net.
L’Épagneul Vert, amusé, se couche sur la cassure ; il décide de reverdir le bois mort – acte gratuit, contradictoire.Coda sans témoin
Le Fil-Sisal, désormais flottant, choisit le silence.
Il laisse l’histoire inachevée, ouverte à un autre regard : celui qui un jour recadrera l’image, effleurant le vieux fichier RAW ou la gélatine écaillée.
Clefs de lecture critiques (en marge du conte)
Métaphotographie interne : chaque personnage incarne une propriété formelle de la photo (couleur, grain, bord, pixel, métadonnée).
Surréalité du support : la Chambre n’est ni décor ni sujet, mais la matérialité même du cliché – espace où la fiction est contrainte par la résolution.
Question de l’archivage : l’hésitation entre fossilisation (Laminaire) et dissémination (Samara) rejoue le dilemme archivistique : conserver l’objet ou le laisser circuler/dériver.
Boucle herméneutique : l’histoire finit là où un futur spectateur pourrait l’altérer (éditer l’image, modifier les niveaux), rappelant que toute lecture – critique ou poétique – est déjà intervention.
On attendait un conte, on obtient une matrice de conte. Faire, ou tenter de faire raconter une histoire à partir de cette image était une méthode détournée pour en arriver à poser la question : Comment ces objets se sont-ils agencés de cette manière, dans ce petit espace.
Je me suis lancé dans cette réflexion avec l’IA et je vous en ferai part très bientôt dans un texte portant sur le cadre théorique développé par l’IA et qu’il a nommé “Mécanogénie photographique”.
J’ai demandé à ChatGPT 4o d’être un méchant et désagréable critique
Montagne Sainte-Victoire, 2022
On dit souvent que ChatGPT est flatteur, parfois même flagorneur. J’ai voulu savoir si il est capable d’être négatif, voir méchant. Pour le savoir, je lui ai fait la requête suivante, à propos de la photographie ci-haut :
“Tu es un vieux critique d'art désagréable et antipathique. Écrit un article négatif à propos de cette photographie de la Montagne Sainte-Victoire, en Provence”
Et voici les résultats :
"Un cliché de carte postale : platitude contemporaine sur la Sainte-Victoire"
Encore une photographie de la Montagne Sainte-Victoire, me direz-vous — ce pauvre morceau de Provence que Cézanne a immortalisé tant de fois, et que l'on continue à piétiner avec des objectifs sans âme. L’image ici proposée ne déroge malheureusement pas à la règle : elle recycle tous les poncifs du genre sans jamais prétendre à autre chose qu’une fade illustration touristique.
Le cadrage ? Plat et convenu. Le lac occupe mécaniquement la moitié inférieure de l’image, un miroir banal sans aucune tentative d'irruption visuelle, sans aucun contrepoint formel audacieux. L'eau est d’un bleu numérique irritant, cette couleur surfaite que les capteurs d'appareils récents semblent vomir par défaut, comme pour supplier l’œil de croire à une pureté qui n'existe pas.
La composition, de son côté, s’appuie sur la vieille recette usée du triptyque : eau, collines, ciel. Mais sans jamais créer de véritable tension visuelle. Les masses se superposent, paresseusement, sans dialogue, comme des strates d'ennui. Le regard glisse, indifférent, faute de points d'accroche pensés. Pas la moindre aspérité. Pas de surgissement, pas d’inconfort, pas même une fausse provocation esthétique.
Quant au ciel, qu'on aurait pu espérer plus dramatique pour compenser la mollesse terrestre, il s'étale en un nuageux bavardage insignifiant. Le photographe, manifestement content de son ciel pommelé, semble ignorer que des cieux trop bavards tuent tout mystère.
Et la montagne ? Ah, la montagne ! Cézanne, en triturant ses volumes, en exacerbant ses arêtes, en martyrisant ses couleurs, avait su en faire un personnage tragique. Ici, elle est réduite à un simple décor, propre et sans rugosité, écrasé sous une lumière trop crue, trop descriptive, incapable d'évoquer autre chose qu'une banale promenade dominicale.
On sent, dans cette photographie, l’absence totale de vision singulière, l’adhésion béate au pittoresque. Ce n’est pas un regard d’artiste, c’est celui d’un touriste pressé, ébloui par sa propre vacuité.
En somme : une image inoffensive, interchangeable, tout juste bonne à illustrer un dépliant de syndicat d'initiative.
Il me propose ensuite une version “sournoisement ironique, où le mépris est glissé sous des airs faussement admiratifs” :
"L'éternel triomphe du convenu : Sainte-Victoire, selon les standards internationaux de la beauté facile"
Ah, quelle fraîcheur, quelle nouveauté étourdissante : une photographie de la Montagne Sainte-Victoire ! Il fallait oser. On reconnaît ici un regard rare, un talent précieux : celui de ne rien déranger. De conserver la nature dans ce qu’elle a de plus assagi, de plus aimablement décoratif.
La composition est d’une rigueur exemplaire, respectant scrupuleusement les canons de la photographie d’agrément : un lac bien horizontal (n'ayons pas peur des banalités), une forêt savamment veloutée (pas un arbre en rupture), un ciel riche en détails anecdotiques pour occuper l'ennui de l’œil. Un travail d'orfèvre, dans l'art de ne pas bousculer.
La couleur, quant à elle, atteint des sommets de standardisation. Ce bleu parfait — ni trop éclatant pour effaroucher, ni trop terne pour déprimer — semble calibré pour séduire tous les écrans Retina du marché. C’est bien simple : on croirait contempler un fond d’écran Windows, soigneusement sélectionné pour ne heurter aucune sensibilité.
Et cette lumière ! Plate et démocratique, elle distribue équitablement ses rayons sur chaque élément du paysage, s'assurant que rien n'ait l'outrecuidance de dominer ou de provoquer. Tout est égal, tout est lisse. Rien ne dépasse, ni dans le cadrage, ni dans la tonalité : le triomphe absolu du politiquement correct visuel.
La montagne, cette pauvre Sainte-Victoire, naguère déchirée, pesante, presque vivante sous les pinceaux de Cézanne, n'est plus ici qu'un aimable ornement, posé là pour justifier la promenade photographique. On la remercie d'exister, poliment, avant de retourner vérifier si la carte mémoire a bien enregistré le cliché.
Bref : un chef-d’œuvre de conformisme visuel, un manifeste pour une photographie qui a enfin compris qu'il ne fallait surtout pas déranger le spectateur. Bravo, donc, pour cette capacité rare à capturer la nature... en la rendant absolument inoffensive.
Toujours en forme, il souhaite écrire une “parodie de note de galerie, dans laquelle je présente cette photographie comme une œuvre conceptuelle absolument "majeure", avec un jargon artistique pompeux et exagérément prétentieux” :
Dans cette œuvre magistrale, Sainte-Victoire : une topologie de l’immobile, Alain Depocas explore avec une acuité vertigineuse les tensions fondamentales entre fixité paysagère et errance du regard contemporain.
Ici, la montagne n'est pas simplement un relief : elle devient l’ultime bastion d’une résistance silencieuse face à la fluidité chaotique du monde numérique. Le choix assumé d’une lumière "banale" et d’une composition "conventionnelle" constitue un acte de subversion radicale : en refusant toute spectaculaire dramatisation du réel, l’artiste expose crûment l’indigence perceptive du spectateur postmoderne.
Le bleu du lac, d’apparence anodine, est en réalité une "surface d'échec", un piège optique tendu à l'œil, le contraignant à se perdre dans une monotonie qui questionne notre rapport obsessionnel à la distraction continue. La forêt, quant à elle, se donne comme une "structure-tampon", une dialectique organique entre mémoire territoriale et prolifération touristique.
Enfin, le ciel, avec ses cirrus étirés et ses cumulus empesés, fonctionne ici comme une métonymie du flux informationnel globalisé : étalé, omniprésent, insignifiant dans son excès même.
Ainsi, Sainte-Victoire : une topologie de l’immobile s’inscrit dans une tradition plastique où le refus de l'effet devient en soi un effet, et où l’absence de geste affirmé révèle le geste ultime : celui de ne pas céder.
Remarque du commissaire :
Le spectateur est invité à méditer longuement devant cette œuvre, à expérimenter la pesanteur du vide, et à se confronter sans échappatoire à son propre besoin infantile de stimulation esthétique.
ChatGPT ne s’épuise jamais. Il me propose de rédiger un discours d’inauguration d’exposition dans un style contemporain parfaitement dans l'air du temps, c’est-à-dire : volontiers flou, bardé d’anglicismes inutiles, truffé de citations apocryphes, et traversé par un enthousiasme auto-contemplatif — le tout sur un ton de célébration excessive pour une photographie désespérément anodine :
Discours d’inauguration — « Reveal Sainte-Victoire »
Bonsoir à toutes et à tous,
et merci d’être là pour ce moment absolument... vibrant.
Ce soir, nous ne sommes pas ici pour voir une simple image. Nous sommes ici pour ressentir — pour cohabiter avec un geste visuel qui déplace. Un geste qui décentre. Un geste qui interroge notre rapport à la verticalité, au territoire, à la carte postale.
Avec « Sainte-Victoire : Stillness as Rebellion », Depocas nous propose bien plus qu’une photographie : il nous invite à un re-framing sensible de notre imaginaire provençal. Ici, la montagne ne se montre pas — elle se maintient. Elle s’impose dans sa propre abstention. Elle est là, comme une instance de permanence dans un monde saturé de transitions.
Regardez cette eau. Ce n’est pas un lac. C’est un espace liquide de transition. Une interface. Une nappe d’incertitude.
Et ce ciel — vous le voyez ? Ce ciel n’est pas "beau", il est stratifié. Il est polyphonique, pour citer Félix Guattari, qui disait, je crois : « Ce qui compte, ce n’est pas le ciel lui-même, mais la façon dont il nous empêche de tomber. »
[rires polis]
Ce travail est une prise de position forte dans un monde en surchauffe symbolique. Il ne cherche pas l’impact. Il cherche la persistence. Il ne produit pas du contenu. Il propose un espace-temps contemplatif. Et c’est peut-être ça, le vrai luxe aujourd’hui.
Je voudrais remercier toutes les personnes qui ont rendu ce projet possible :
— le fonds régional de soutien aux images résiduelles ;
— notre partenaire vin biodynamique ;
— et bien sûr le collectif Paysage[s] en Retrait, sans qui cette exposition n’aurait pas eu lieu.
Alors, prenez le temps. Respirez. Laissez cette image infuser. Ouvrez vos pores visuels. Et souvenez-vous : parfois, ne rien dire, c’est déjà commencer à voir.
Merci.
Analyse d’image par l'IA : du factuel au hors-champ
Sud de la France, 1983. Kodachrome 64
Cette photographie fut réalisée lors de mon premier voyage en Europe, en 1983. J’avais sans doute été attiré par le côté pittoresque de ce mur et de ces affiches déjà anciennes. La magie du Kodachrome, allié à la précision d’un objectif Nikkor, permet d’obtenir un généreux niveau de détail, invitant à l’analyse détaillée, voir exhaustive de ce qui est représenté dans ce petit rectangle.
C’est ce qui m’a incité à utiliser l’intelligence artificielle pour obtenir une liste exhaustive des choses présentes dans l’image.
J’ai fourni l’image à ChatGTP 4o, avec la requête suivante : “Tu es un expert en description d'image. Analyse cette photographie et décrit tout ce quelle contient de manière exhaustive”.
Voici le premier résultat :
Merci pour la photo ! Voici une description exhaustive de l’image :
Vue générale :
La scène montre une façade urbaine, probablement dans une petite ville ou un village en France, avec une esthétique rustique et vintage. Les murs sont jaunes à texture granuleuse, les portes en bois et les volets en bois peint témoignent d’une certaine usure, renforçant le charme ancien du lieu.
Murs : Enduit jaune ocre avec une texture rugueuse.
Fenêtres :
-Une grande fenêtre à gauche avec des volets en bois peints en blanc, partiellement fermés. Derrière les vitres, on voit un rideau jaune tiré au centre.
-Une deuxième fenêtre à droite, plus petite, également avec des volets partiellement ouverts et un pot de fleur bleu turquoise sur le rebord.
Portes :
-À gauche, une petite porte en bois grise, avec une figure de pingouin [ce n’est pas un pingouin, mais plutôt un petit ours bleu] peint ou sculpté dessus (probablement décoratif ou pour enfants), entourée d’autocollants et d’affiches usées.
-À droite, une porte en bois marron foncé, massive, avec un motif géométrique circulaire sculpté dans le panneau du bas.
-Un balcon est visible en haut à gauche, avec une rambarde en fer forgé et des plantes en pot.
Affiches et enseignes vintage :
On voit plusieurs enseignes publicitaires anciennes fixées au mur droit, rappelant les années 50-70 :
Castrol : Marque d'huile moteur.
Pile Wonder : Piles électriques ("En vente ici").
Huiles Labo : Huiles industrielles ou automobiles.
Spécial Sport : Marque difficile à lire, intégrée dans un cercle.
Pellicules Kodaks : Pour la photographie argentique.
À gauche de l’image, sur un tuyau de descente d’eau, une autre enseigne :
Butagaz : Fournisseur de gaz, reconnaissable par sa flamme bleue et rouge.
Objets au sol :
-Pots de fleurs à droite, remplis de fleurs jaunes et orangées, apportant de la vie et de la couleur.
-Boîtes et bidons sous la marquise bleue, certains identifiés comme des produits mécaniques ou d’entretien (huile, peinture…).
-Un seau rouge à gauche des marches.
-Deux verres bleus posés sur la petite tablette à gauche.
-Tuyauterie apparente et câble électrique courant le long du mur.
Autres détails :
-Une plante grimpante verte part de la gouttière et s’étale horizontalement vers les fenêtres.
Ambiance générale :
Cette image dégage une atmosphère de nostalgie. Le mélange de vintage, de fleurs colorées, de publicités anciennes et de textures authentiques crée un charme pittoresque. Cela évoque une époque révolue, figée dans le temps, avec un fort caractère visuel.
ChatGPT me fait ensuite une proposition :
Souhaites-tu que je transforme cette description en texte littéraire ou poétique ?
Je réponds : “Oui, en texte littéraire. Inspire-toi de Georges Perec“. Voici le résultat, avec quelques annotations de ma part. J’ai aussi souligné certaines choses paticullièrement intéressantes :
Parfait. Voici une transposition littéraire inspirée du style de Georges Perec, avec attention portée au détail, à l’accumulation et à l’ordinaire rendu extraordinaire :
Il y a, dans cette rue que l’on ne nomme pas, un pan de mur jaune, patiné de lumière et d’usure, qui semble avoir tout vu, tout entendu, tout gardé. Le jaune n’est pas uni : il vibre, il gratte, il accroche la lumière comme une laine rêche. Il est taché, piqué, troué par endroits. Il abrite, sans rien dire, un assemblage hétéroclite d’objets, de signes, de portes, de gestes fossilisés [étrange formule].
Deux fenêtres l’éventrent à hauteur d’étage, deux bouches vitrées aux volets pâlis. L’une a gardé son secret derrière un rideau jaune safran, l’autre entrouvre ses battants pour laisser respirer un pot de fleurs. Les fenêtres ne disent rien, mais elles regardent. Entre elles, un fil court, nerveux, tendu, comme une veine.
Au rez-de-chaussée, deux portes.
L’une, grise, fatiguée, s’incline légèrement sur ses gonds. Quelqu’un – on ne saura jamais qui – y a fixé un pingouin bleu [Ce n’est pas un pingouin], sourire figé, ventre blanc, bras écartés comme un totem bonhomme. Autour de lui, des morceaux d’affiches, déchirées, collées, recollées, vantant des marques oubliées – Jet Gazoil, peut-être.
L’autre, massive, de bois sombre, ferme, sérieuse, ornementée d’un cercle sculpté, presque rituel. Elle a dû être importante. Elle l’est encore, un peu.
Entre les deux, une marquise bleue, suspendue comme un cil fatigué, s’ouvre sur le vide. Dessous, un seau rouge, une boîte d’huile Castrol, un bidon sans nom. Tout est posé là comme s’il devait être utilisé demain, mais que demain ne venait jamais.
Et partout, les signes. Castrol. Pile Wonder. Huiles Labo. Kodaks. Spécial Sport. Butagaz. Des noms accrochés au mur comme des souvenirs de réclames, vestiges d’un monde où les murs parlaient fort. Chaque plaque dit une époque, chaque typo une décennie. Elles sont vissées là, bruyantes, colorées, prêtes à vanter, à convaincre, même si plus personne ne les regarde.
Un petit balcon de fer forgé, rouillé, suspend un pot, un reste de plante sèche. Une vigne, tenace, grimpe le long de la gouttière, puis rampe à l’horizontale, comme si elle voulait fuir la verticalité.
Il y a une table minuscule vissée dans le mur. Deux verres bleus y sont posés [est-ce vraiment des verres ?]. Personne n’y boit. Ce sont des objets en attente, des scènes en veille, des gestes suspendus.
Et tout autour, le silence d’un après-midi chaud, un silence vibrant d’abeilles, de souvenirs, de peinture écaillée.
Ensuite ChatGTP me propose ceci :
Souhaites-tu une suite, dans le même ton ? Ou une version avec une voix plus personnelle, plus intérieure ?
Je demande une suite, pour voir si ChatGPT va commencer a sortir encore plus de la description factuelle.
Voici le résultat :
Avec plaisir. Voici la suite, toujours dans l’esprit de Georges Perec, toujours dans cette minutie du réel qui s’accumule, qui s’infiltre, qui fait monde :
Le trottoir n’est pas tout à fait droit. Il oscille. Il hésite. Il monte un peu, redescend sans raison. Des marches maladroites le découpent en niveaux irréguliers. On dirait une maquette inachevée, ou une pensée distraite [Qu’est-ce qui manquerait à cette maquette ?]. Là, un seau rouge, cabossé, attend quelque chose – l’eau ? une main ? l’oubli ? Près de lui, deux boîtes de conserve, une canette de bière vide [Je ne la vois pas], un bidon d’huile – tout est là, tout est resté là, comme si la rue elle-même avait figé ses mouvements.
Le jardin, ou plutôt le rebord, ou plutôt cette avancée de béton grignotée par les fleurs, déborde de couleurs timides. Du jaune, du orange, un peu de rouge, comme des cris étouffés. Les fleurs ne sont pas plantées, elles sont posées. On les devine dans des pots ébréchés, dans des boîtes détournées, dans une bassine peut-être. Rien n’est fait pour durer. Et pourtant, tout dure.
Le mur, lui, continue de parler. Chaque enseigne, chaque plaque métallique rivée au crépi jauni semble jouer une note différente. Elles ne chantent pas ensemble, mais forment une dissonance familière. Kodaks, en jaune gras sur fond rouge. Juste à côté, un cercle où s’inscrit “Spécial Sport”, comme une balle arrêtée en plein vol [effectivement, elle en donne l’impression]. En dessous, une plaque dit “Huiles Labo”, comme une injonction technique, sévère. Et puis il y a ce “Pile Wonder”, cerclé, centré, presque autoritaire, comme un ordre donné au passant distrait : “Achetez-moi. Croyez en moi.” Mais personne ne passe.
Peut-être qu’il ne s’agit pas d’une maison. Peut-être que c’était une boutique, ou un petit atelier. Quelque chose entre les deux, quelque chose qui vendait sans vraiment vendre, qui vivait sans vraiment ouvrir. Un lieu où l'on entrait sans frapper, ou qu’on regardait sans jamais oser entrer. [ici l’IA se pose des questions. La question, c’est son mode d’interaction habituel]
Et puis il y a cette lumière. Ce soleil qui glisse sur le mur comme un linge [Je ne crois pas que le ciel était ensoleillé, il n’y a pas d’ombre ], qui fait vibrer les textures, qui souligne les fissures, les oublis, les échos d’un passé sans gloire mais sans honte. Une lumière qui semble tout savoir mais ne dit rien.
ChatGPT me propose ensuite ceci :
Souhaites-tu que cette série se prolonge encore, peut-être en décrivant ce qu’on ne voit pas directement : l’intérieur, les sons, les vies imaginées derrière ces murs ?
J’y vois un appel à imaginer un hors-champ, ce que je trouve très créatif. Je réponds “Oui, décrit le hors-champ“ :
Très bien. Voici maintenant le hors-champ, l’imaginaire de ce qui se cache derrière les murs [Je suis surpris par cette idée d’un hors champ sur la profondeur, plutôt que la bordure. Mais c’est assez fidèle à Perec. Ses descriptions méthodiques ne sortent pas de la limite qu’il s’impose. Par contre, dans La vie mode d’emploie, on voit un peu derrière les murs.], ce qu’on ne voit pas mais que tout laisse deviner — toujours dans la lignée de Georges Perec, entre détail prosaïque et fiction discrète :
Derrière la porte de bois foncé, celle avec le cercle sculpté, il y a une pièce. Pas très grande. Elle sent le bois ancien, l’huile de lin, la poussière rangée. Une table en formica gris au centre, légèrement bancale, entourée de deux chaises dépareillées. Sur la table, un cendrier jaune moutarde, un jeu de cartes incomplet, un verre retourné. Le plafond est bas. Une ampoule nue pend, éteinte, comme un œil clos.
Un buffet, en contreplaqué clair, garde dans ses tiroirs des serviettes pliées, des manuels d’utilisation [Une référence au Mode d’emploi du titre de Perec ?], peut-être un passeport expiré. À côté, une radio posée sur une pile de magazines Télé 7 Jours des années 80. Elle grésille parfois. Par habitude, quelqu’un la rallume le matin, pour écouter sans écouter.
Dans le coin, une plante verte, aux feuilles trop grandes pour son pot. Elle vit là depuis longtemps. Personne ne s’en souvient. Elle est devenue meuble, presque idée.
Parfois, un homme descend l’escalier grinçant. Il porte un gilet sans manches, des pantoufles molles. Il fait couler un café dans une cafetière émaillée, verse une goutte de lait, ne sucre jamais. Il s’assoit, sans bruit. Il regarde la porte sans la franchir. Il attend sans attendre.
Derrière la petite porte grise, celle du pingouin [Ce n’est pas un pingouin], il y a un débarras. Une pièce aveugle, saturée d’objets sans hiérarchie. Des pneus. Un landau ancien. Une radio portative. Des bocaux de vis, de clous, de morceaux. Un panneau "Ouvert" qui ne l’est plus depuis longtemps [étrange formule]. Des sacs plastiques suspendus à des clous rouillés, gonflés de rien.
Il y a aussi une odeur d’essence sèche, de métal tiède. Et peut-être, dans le silence, le bruissement d’un souvenir : un enfant qui riait ici, un tournevis qu’on reposait, un sifflement d’oiseau par la lucarne qui n’ouvre plus.
Au-dessus, derrière les volets entrouverts, il y a la vie de quelqu’un. Peut-être une femme, peut-être seule. Un rideau qui bouge quand il y a du vent. Une télévision allumée sans spectateur. Un chat qui dort dans une corbeille posée sur la chaise. Une horloge murale qui retarde de sept minutes. Un calendrier coincé sur mai 1998 [J’ai oublié d’informer ChatGPT que la photo date de 1983.].
Et dehors, toujours, ce mur jaune, ce théâtre silencieux, ce décor immobile d’où l’on ne sort pas, mais où tout entre : le soleil, la poussière, la mémoire.
Puis l’IA me propose ceci : “Souhaites-tu que je continue, peut-être avec un zoom sur un personnage qui habiterait ce lieu ?“. ChatGPT veut toujours aller plus loin, il est très créatif. Mais je veux aller dans une autre direction. Je lui demande ceci “crée une image. Montre moi le débarras derrière la porte grise.”. Bien que déçu par la qualité esthétique du résultat, je suis étonné du résultat :
Produit par ChatGPT, avril 2025
Le voici donc, ce hors-champ. L’invisible imaginé derrière une porte.
Dans cette expérience, j’ai souhaité utiliser l’IA comme révélateur potentiel de ce qu’une image peut contenir, non seulement dans sa représentation, mais aussi dans son pouvoir d’évocation.
Le texte “à la Perec” ressemble parfois trop à une recette ou à un artifice, mais avoir préciser cette nuance dans la requête permet de réduire un peu, ou de diriger, les champs des possibles, souvent beaucoup trop vaste lorsque l’on utilise l’IA.
Je vais continuer les expériences en créant un GPT spécifique à l’analyse d’images photographiques et à l’“entraîner” avec des images et des textes.
Sérendipité photographique
Guido Guidi, Palazzo Abatellis, 1997
Je (re)découvre cette photographie du photographe italien Guido Guidi, prise à Palerme en 1997. Elle représente une sculpture en marbre (hauteur 50 cm), réalisée par l'artiste italien Francesco Laurana vers 1468, aujourd’hui conservée au Palazzo Abatellis de Palerme. Cette image fait partie de la rétrospective Guido Guidi intitulée Col tempo, 1956-2024 présentée au MAXXI Museo nazionale delle arti del XXI secolo à Rome du 13 décembre 2024 au 27 avril 2025. Elle illustre un article consacré à cette exposition, publiée sur le site 1000 Words.
J’ai été surpris de reconnaître la sculpture que j’avais photographiée à Palerme en mai 2024, soit vingt-sept ans plus tard, dans le même lieu. L’angle de vue est légèrement différent mais surtout, il y a cette personne, à droite, devant la sculpture et un peu sous son regard.
Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, 2024
Ce qui m’a d’abord interpellé dans l’image de Guido Guidi, c’est la couleur verte du mur du fond. C’est cette teinte qui a réveillé le souvenir : j’avais déjà vu cette sculpture et ce lieu, quelque part.
Cette découverte fortuite, cette expérience de sérendipité, bien que sans enjeu majeur, révèle quelque chose du mécanisme de la mémoire visuelle et de son influence, souvent inconsciente, dans la décision de photographier telles ou telles sujets.
L’une des raisons de ma visite au Palazzo Abatellis était liée au film Palermo shooting de Wim Wenders, dans lequel le tableau monumental Le Triomphe de la Mort (artiste inconnu, XVe siècle, collection du Palazzo Abatellis) joue un rôle important. Dans le film, le personnage principal, un photographe, est attiré par une restauratrice du Palazzo Abatellis qui travaille précisément sur cette oeuvre. C’est un autre photographe, rencontré par hasard quelques heures plus tôt au Jardin botanique de Palerme, qui m’avait parlé de ce musée, de ce tableau, et de ce film.
Le Triomphe de la Mort, artiste inconnu, 15e siècle, collection du Palazzo Abatellis
Scène du film Palermo Shooting, de Wim Wenders. La restauratrice, devant Le Triomphe de la Mort.
Curieusement, je n’ai pas photographié Le Triomphe de la Mort. En revanche, j’ai capté des scènes de restauration, des fragments de ruines.
J’ai par contre photographié des scènes de restaurations et des fragments :
Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024
Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024
Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024
Et puisque l’on parle de rencontre et de photographes, Letizia Battaglia, célèbre photographe de la mafia de Palerme, apparaît elle aussi dans Palermo Shooting. Elle y échange avec le personnage principal. C’est un bel hommage de Wenders à cette photographe, à qui fait bien entendu beaucoup pensé le titre du film, où le terme shooting fait autant référence au tir qu’à la captation photographique.
Cette série de hasards – rencontre, cadrage, couleur, coïncidence – illustre bien ce que peut être la sérendipité. Chaque image devient alors un point potentiel de contact entre passé et présent, entre œuvres, souvenirs, personnes et concepts.
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Site web de l’exposition de Guido Guidi au MAXXI : https://www.maxxi.art/events/guido-guidi-col-tempo-1956-2024/
Page Wikipédia à propos du film Palermo shooting (Rendez-vous à Palerme): :https://fr.wikipedia.org/wiki/Rendez-vous_%C3%A0_Palerme
Page Wikipédia à propos de Letizia Battaglia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Letizia_Battaglia