La Chambre des cellules. Un conte philosophique à partir d’une étrange photographie.

C’est l’histoire d’une collaboration avec l’IA en vue d’explorer cette étrange image, en comprendre l’assemblage, ses significations sous-jacentes et son potentiel narratif.

Que faire dire à cette image ? C’est ce que l’on verra. Mais je peut déjà dire sur cette image : C’est une juxtaposition aléatoire d’objets naturels divers, appartenant tous à un environnement local commun. Une force “hydro-mécanique”, sans intention organisationnelle, est à la source de cet étrange et éphémère construction.

Selon l’IA, l’image représente “Un espace clos, ni sol ni ciel ; juste des replis de matière et des taches de lumière. Ici, le temps stagne à la frontière du frais et du pourri. Chaque créature ignore s’il s’agit d’un paradis invisible ou d’une morgue de botaniste.”

J’ai utilisé plusieurs stratégies de requête pour faire “parler” l’IA et me faire découvrir ses secrets. L’une d’entre elle fut de lui demander “Est-il possible de développer une histoire, une fiction, dont les personnages seraient présents dans cette image ? une sorte de conte, d'un style surréaliste.”

Voici le résultat. J’ai souligné les éléments les plus surprenant et/ou porteur de sens :

Conte surréaliste : « La Chambre des Cellules »

Photographié par une main absente, découvert par un œil qui doute.

Cadre : La Chambre des Cellules

Un espace clos, ni sol ni ciel ; juste des replis de matière et des taches de lumière. Ici, le temps stagne à la frontière du frais et du pourri. Chaque créature ignore s’il s’agit d’un paradis invisible ou d’une morgue de botaniste.

Trame en cinq stations

  1. L’Annonce brisée
    Le Fil-Sisal, tendu entre deux fibres, capte un souffle : « Le photographe ne reviendra plus. »
    Conséquence : La Chambre pourrait s’effondrer (l’image pourrait être recadrée, comprimée, effacée). Samara voit là une occasion de fuite ; Pétale-Lilas, au contraire, redoute la dissipation lumineuse qui suivra.

  2. Le Conseil des Textures
    Tous se rassemblent sur une nervure agrandie ; le Laminaire impose la règle : « On reste, on se pétrifie, on devient fossile – les archives ne mentent jamais. »
    L’Épagneul Vert rigole : « Pour finir dans une base de données ? Très peu pour moi. »
    Pétale-Lilas propose une troisième voie : ouvrir un passage vers la zone floue (l’ombre latérale de la photo) où, dit-on, règne un vent éternel.

  3. Traverse du Grain numérique
    Ils découvrent un sentier granuleux : les pixels plus sombres de l’ombre.
    Épreuve : À chaque pas la résolution change ; Samara se voit étiré, Pétale-Lilas se désature, le Laminaire se fragmente en bandes verticales.
    Pendant ce chaos visuel, le Fil-Sisal cède d’un côté ; il n’est plus sûr de pouvoir raconter la suite.

  4. La Faille de l’Ex-Position
    Au bord du cadre, un vide blanc – marge de la photographie – aspire la matière.
    Samara s’élance, persuadé qu’au-delà, un vent authentique souffle. Il disparaît, muté en simple métadonnée (« obj-spl-001 »).
    Pétale-Lilas hésite : partir reviendrait à perdre son parfum, rester à perdre sa couleur. Elle plante alors sa base dans la texture, devient racine de rien, mémoire pure.
    Le Laminaire, voyant l’entropie, tente de se redresser : il se casse net.
    L’Épagneul Vert, amusé, se couche sur la cassure ; il décide de reverdir le bois mort – acte gratuit, contradictoire.

  5. Coda sans témoin
    Le Fil-Sisal, désormais flottant, choisit le silence.
    Il laisse l’histoire inachevée, ouverte à un autre regard : celui qui un jour recadrera l’image, effleurant le vieux fichier RAW ou la gélatine écaillée.

Clefs de lecture critiques (en marge du conte)

  • Métaphotographie interne : chaque personnage incarne une propriété formelle de la photo (couleur, grain, bord, pixel, métadonnée).

  • Surréalité du support : la Chambre n’est ni décor ni sujet, mais la matérialité même du cliché – espace où la fiction est contrainte par la résolution.

  • Question de l’archivage : l’hésitation entre fossilisation (Laminaire) et dissémination (Samara) rejoue le dilemme archivistique : conserver l’objet ou le laisser circuler/dériver.

  • Boucle herméneutique : l’histoire finit là où un futur spectateur pourrait l’altérer (éditer l’image, modifier les niveaux), rappelant que toute lecture – critique ou poétique – est déjà intervention.

On attendait un conte, on obtient une matrice de conte. Faire, ou tenter de faire raconter une histoire à partir de cette image était une méthode détournée pour en arriver à poser la question : Comment ces objets se sont-ils agencés de cette manière, dans ce petit espace.

Je me suis lancé dans cette réflexion avec l’IA et je vous en ferai part très bientôt dans un texte portant sur le cadre théorique développé par l’IA et qu’il a nommé “Mécanogénie photographique”.

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J’ai demandé à ChatGPT 4o d’être un méchant et désagréable critique

Montagne Sainte-Victoire, 2022

On dit souvent que ChatGPT est flatteur, parfois même flagorneur. J’ai voulu savoir si il est capable d’être négatif, voir méchant. Pour le savoir, je lui ai fait la requête suivante, à propos de la photographie ci-haut :

“Tu es un vieux critique d'art désagréable et antipathique. Écrit un article négatif à propos de cette photographie de la Montagne Sainte-Victoire, en Provence”

Et voici les résultats :

"Un cliché de carte postale : platitude contemporaine sur la Sainte-Victoire"

Encore une photographie de la Montagne Sainte-Victoire, me direz-vous — ce pauvre morceau de Provence que Cézanne a immortalisé tant de fois, et que l'on continue à piétiner avec des objectifs sans âme. L’image ici proposée ne déroge malheureusement pas à la règle : elle recycle tous les poncifs du genre sans jamais prétendre à autre chose qu’une fade illustration touristique.

Le cadrage ? Plat et convenu. Le lac occupe mécaniquement la moitié inférieure de l’image, un miroir banal sans aucune tentative d'irruption visuelle, sans aucun contrepoint formel audacieux. L'eau est d’un bleu numérique irritant, cette couleur surfaite que les capteurs d'appareils récents semblent vomir par défaut, comme pour supplier l’œil de croire à une pureté qui n'existe pas.

La composition, de son côté, s’appuie sur la vieille recette usée du triptyque : eau, collines, ciel. Mais sans jamais créer de véritable tension visuelle. Les masses se superposent, paresseusement, sans dialogue, comme des strates d'ennui. Le regard glisse, indifférent, faute de points d'accroche pensés. Pas la moindre aspérité. Pas de surgissement, pas d’inconfort, pas même une fausse provocation esthétique.

Quant au ciel, qu'on aurait pu espérer plus dramatique pour compenser la mollesse terrestre, il s'étale en un nuageux bavardage insignifiant. Le photographe, manifestement content de son ciel pommelé, semble ignorer que des cieux trop bavards tuent tout mystère.

Et la montagne ? Ah, la montagne ! Cézanne, en triturant ses volumes, en exacerbant ses arêtes, en martyrisant ses couleurs, avait su en faire un personnage tragique. Ici, elle est réduite à un simple décor, propre et sans rugosité, écrasé sous une lumière trop crue, trop descriptive, incapable d'évoquer autre chose qu'une banale promenade dominicale.

On sent, dans cette photographie, l’absence totale de vision singulière, l’adhésion béate au pittoresque. Ce n’est pas un regard d’artiste, c’est celui d’un touriste pressé, ébloui par sa propre vacuité.

En somme : une image inoffensive, interchangeable, tout juste bonne à illustrer un dépliant de syndicat d'initiative.

Il me propose ensuite une version “sournoisement ironique, où le mépris est glissé sous des airs faussement admiratifs” :

"L'éternel triomphe du convenu : Sainte-Victoire, selon les standards internationaux de la beauté facile"

Ah, quelle fraîcheur, quelle nouveauté étourdissante : une photographie de la Montagne Sainte-Victoire ! Il fallait oser. On reconnaît ici un regard rare, un talent précieux : celui de ne rien déranger. De conserver la nature dans ce qu’elle a de plus assagi, de plus aimablement décoratif.

La composition est d’une rigueur exemplaire, respectant scrupuleusement les canons de la photographie d’agrément : un lac bien horizontal (n'ayons pas peur des banalités), une forêt savamment veloutée (pas un arbre en rupture), un ciel riche en détails anecdotiques pour occuper l'ennui de l’œil. Un travail d'orfèvre, dans l'art de ne pas bousculer.

La couleur, quant à elle, atteint des sommets de standardisation. Ce bleu parfait — ni trop éclatant pour effaroucher, ni trop terne pour déprimer — semble calibré pour séduire tous les écrans Retina du marché. C’est bien simple : on croirait contempler un fond d’écran Windows, soigneusement sélectionné pour ne heurter aucune sensibilité.

Et cette lumière ! Plate et démocratique, elle distribue équitablement ses rayons sur chaque élément du paysage, s'assurant que rien n'ait l'outrecuidance de dominer ou de provoquer. Tout est égal, tout est lisse. Rien ne dépasse, ni dans le cadrage, ni dans la tonalité : le triomphe absolu du politiquement correct visuel.

La montagne, cette pauvre Sainte-Victoire, naguère déchirée, pesante, presque vivante sous les pinceaux de Cézanne, n'est plus ici qu'un aimable ornement, posé là pour justifier la promenade photographique. On la remercie d'exister, poliment, avant de retourner vérifier si la carte mémoire a bien enregistré le cliché.

Bref : un chef-d’œuvre de conformisme visuel, un manifeste pour une photographie qui a enfin compris qu'il ne fallait surtout pas déranger le spectateur. Bravo, donc, pour cette capacité rare à capturer la nature... en la rendant absolument inoffensive.

Toujours en forme, il souhaite écrire une “parodie de note de galerie, dans laquelle je présente cette photographie comme une œuvre conceptuelle absolument "majeure", avec un jargon artistique pompeux et exagérément prétentieux” :

Dans cette œuvre magistrale, Sainte-Victoire : une topologie de l’immobile, Alain Depocas explore avec une acuité vertigineuse les tensions fondamentales entre fixité paysagère et errance du regard contemporain.

Ici, la montagne n'est pas simplement un relief : elle devient l’ultime bastion d’une résistance silencieuse face à la fluidité chaotique du monde numérique. Le choix assumé d’une lumière "banale" et d’une composition "conventionnelle" constitue un acte de subversion radicale : en refusant toute spectaculaire dramatisation du réel, l’artiste expose crûment l’indigence perceptive du spectateur postmoderne.

Le bleu du lac, d’apparence anodine, est en réalité une "surface d'échec", un piège optique tendu à l'œil, le contraignant à se perdre dans une monotonie qui questionne notre rapport obsessionnel à la distraction continue. La forêt, quant à elle, se donne comme une "structure-tampon", une dialectique organique entre mémoire territoriale et prolifération touristique.

Enfin, le ciel, avec ses cirrus étirés et ses cumulus empesés, fonctionne ici comme une métonymie du flux informationnel globalisé : étalé, omniprésent, insignifiant dans son excès même.

Ainsi, Sainte-Victoire : une topologie de l’immobile s’inscrit dans une tradition plastique où le refus de l'effet devient en soi un effet, et où l’absence de geste affirmé révèle le geste ultime : celui de ne pas céder.

Remarque du commissaire :
Le spectateur est invité à méditer longuement devant cette œuvre, à expérimenter la pesanteur du vide, et à se confronter sans échappatoire à son propre besoin infantile de stimulation esthétique.

ChatGPT ne s’épuise jamais. Il me propose de rédiger un discours d’inauguration d’exposition dans un style contemporain parfaitement dans l'air du temps, c’est-à-dire : volontiers flou, bardé d’anglicismes inutiles, truffé de citations apocryphes, et traversé par un enthousiasme auto-contemplatif — le tout sur un ton de célébration excessive pour une photographie désespérément anodine :

Discours d’inauguration — « Reveal Sainte-Victoire »

Bonsoir à toutes et à tous,
et merci d’être là pour ce moment absolument... vibrant.

Ce soir, nous ne sommes pas ici pour voir une simple image. Nous sommes ici pour ressentir — pour cohabiter avec un geste visuel qui déplace. Un geste qui décentre. Un geste qui interroge notre rapport à la verticalité, au territoire, à la carte postale.

Avec « Sainte-Victoire : Stillness as Rebellion », Depocas nous propose bien plus qu’une photographie : il nous invite à un re-framing sensible de notre imaginaire provençal. Ici, la montagne ne se montre pas — elle se maintient. Elle s’impose dans sa propre abstention. Elle est là, comme une instance de permanence dans un monde saturé de transitions.

Regardez cette eau. Ce n’est pas un lac. C’est un espace liquide de transition. Une interface. Une nappe d’incertitude.
Et ce ciel — vous le voyez ? Ce ciel n’est pas "beau", il est stratifié. Il est polyphonique, pour citer Félix Guattari, qui disait, je crois : « Ce qui compte, ce n’est pas le ciel lui-même, mais la façon dont il nous empêche de tomber. »

[rires polis]

Ce travail est une prise de position forte dans un monde en surchauffe symbolique. Il ne cherche pas l’impact. Il cherche la persistence. Il ne produit pas du contenu. Il propose un espace-temps contemplatif. Et c’est peut-être ça, le vrai luxe aujourd’hui.

Je voudrais remercier toutes les personnes qui ont rendu ce projet possible :
— le fonds régional de soutien aux images résiduelles ;
— notre partenaire vin biodynamique ;
— et bien sûr le collectif Paysage[s] en Retrait, sans qui cette exposition n’aurait pas eu lieu.

Alors, prenez le temps. Respirez. Laissez cette image infuser. Ouvrez vos pores visuels. Et souvenez-vous : parfois, ne rien dire, c’est déjà commencer à voir.

Merci.

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Sérendipité photographique

Guido Guidi, Palazzo Abatellis, 1997

Guido Guidi, Palazzo Abatellis, 1997

Je (re)découvre cette photographie du photographe italien Guido Guidi, prise à Palerme en 1997. Elle représente une sculpture en marbre (hauteur 50 cm), réalisée par l'artiste italien Francesco Laurana vers 1468, aujourd’hui conservée au Palazzo Abatellis de Palerme. Cette image fait partie de la rétrospective Guido Guidi intitulée Col tempo, 1956-2024 présentée au MAXXI Museo nazionale delle arti del XXI secolo à Rome du 13 décembre 2024 au 27 avril 2025. Elle illustre un article consacré à cette exposition, publiée sur le site 1000 Words.

J’ai été surpris de reconnaître la sculpture que j’avais photographiée à Palerme en mai 2024, soit vingt-sept ans plus tard, dans le même lieu. L’angle de vue est légèrement différent mais surtout, il y a cette personne, à droite, devant la sculpture et un peu sous son regard.

Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, 2024

Ce qui m’a d’abord interpellé dans l’image de Guido Guidi, c’est la couleur verte du mur du fond. C’est cette teinte qui a réveillé le souvenir : j’avais déjà vu cette sculpture et ce lieu, quelque part.

Cette découverte fortuite, cette expérience de sérendipité, bien que sans enjeu majeur, révèle quelque chose du mécanisme de la mémoire visuelle et de son influence, souvent inconsciente, dans la décision de photographier telles ou telles sujets.

L’une des raisons de ma visite au Palazzo Abatellis était liée au film Palermo shooting de Wim Wenders, dans lequel le tableau monumental Le Triomphe de la Mort (artiste inconnu, XVe siècle, collection du Palazzo Abatellis) joue un rôle important. Dans le film, le personnage principal, un photographe, est attiré par une restauratrice du Palazzo Abatellis qui travaille précisément sur cette oeuvre. C’est un autre photographe, rencontré par hasard quelques heures plus tôt au Jardin botanique de Palerme, qui m’avait parlé de ce musée, de ce tableau, et de ce film.

Le Triomphe de la Mort, artiste inconnu, 15e siècle, collection du Palazzo Abatellis

Scène du film Palermo Shooting, de Wim Wenders. La restauratrice, devant Le Triomphe de la Mort.

Curieusement, je n’ai pas photographié Le Triomphe de la Mort. En revanche, j’ai capté des scènes de restauration, des fragments de ruines.

J’ai par contre photographié des scènes de restaurations et des fragments :

Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024

Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024

Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024

Et puisque l’on parle de rencontre et de photographes, Letizia Battaglia, célèbre photographe de la mafia de Palerme, apparaît elle aussi dans Palermo Shooting. Elle y échange avec le personnage principal. C’est un bel hommage de Wenders à cette photographe, à qui fait bien entendu beaucoup pensé le titre du film, où le terme shooting fait autant référence au tir qu’à la captation photographique.

Cette série de hasards – rencontre, cadrage, couleur, coïncidence – illustre bien ce que peut être la sérendipité. Chaque image devient alors un point potentiel de contact entre passé et présent, entre œuvres, souvenirs, personnes et concepts.

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Site web de l’exposition de Guido Guidi au MAXXI : https://www.maxxi.art/events/guido-guidi-col-tempo-1956-2024/

Page Wikipédia à propos du film Palermo shooting (Rendez-vous à Palerme): :https://fr.wikipedia.org/wiki/Rendez-vous_%C3%A0_Palerme

Page Wikipédia à propos de Letizia Battaglia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Letizia_Battaglia

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