Réflexions sur mes acquisitions photographiques de 2025 : Paysages, Mémoires et Interventions Humaines
Introduction : Un Carnet de Voyages Immobiles
La première moitié de l'année 2025 a été marquée par l'acquisition d'une série d'ouvrages photographiques qui, au-delà de leur singularité, tissent des liens thématiques profonds et résonnent avec les préoccupations qui animent ce carnet. Loin d'une simple énumération, l'exploration de ces titres se veut un voyage intellectuel et visuel, une immersion dans des univers qui interrogent les relations complexes entre l'humain et son environnement, la nature de la mémoire et le pouvoir de l'image. Ces choix s'inscrivent naturellement dans la continuité des thèmes chers à mon site Web : la documentation, la préservation, l'analyse critique de l'image, et l'exploration des dynamiques entre l'humain et son territoire.
La sélection de ces livres n'est pas fortuite ; elle reflète une curiosité persistante pour la manière dont la photographie rend compte des transformations du monde, qu'elles soient géologiques, sociales ou personnelles. Chaque volume est perçu non seulement comme une œuvre d'art en soi, mais aussi comme un catalyseur de pensée, une invitation à approfondir la compréhension des enjeux contemporains à travers le prisme de l'objectif. Cette démarche d'acquisition est une forme de documentation personnelle, un enrichissement continu de la bibliothèque qui alimente la réflexion sur la photographie et ses multiples facettes.
Aperçu Thématique des Acquisitions 2025
Afin d'offrir une vision structurée de cette collection, le tableau ci-dessous présente une synthèse des livres acquis, regroupés par les thématiques principales qui émergent de leur contenu et de leur résonance personnelle. Cette vue d'ensemble permet de saisir rapidement les fils conducteurs qui relient ces ouvrages et les raisons profondes de leur intégration à ma bibliothèque.
I. Le Paysage comme Miroir et Témoin : Entre Nature et Anthropocène
Cette première thématique rassemble des ouvrages qui considèrent le paysage non pas comme un simple décor, mais comme un espace dynamique, profondément marqué par l'empreinte humaine, les forces naturelles et les récits historiques. La photographie y devient un outil d'observation critique des transformations environnementales et sociétales. La sélection de ces livres révèle une préoccupation pour l'Anthropocène et ses manifestations visuelles. Le paysage y est constamment présenté comme un palimpseste d'activités humaines, d'impacts industriels et de négligence sociétale, allant bien au-delà de la simple photographie de paysage pour s'engager dans une critique des enjeux environnementaux et socio-politiques.
1.1. Les Territoires Façonnés par l'Homme et le Temps
La Montagne Neuve, d’Arnaud Teicher, explore une province des Alpes-de-Haute-Provence, un « territoire profondément rural et parfois hostile » où la population cherche à « inventer de nouvelles façons de vivre ». Teicher photographie ce monde pour ses « apparences et aspirations », documentant un espace en mutation où la nature brute rencontre les défis d'une société rurale en quête de renouveau. Cet ouvrage offre une exploration des paysages qui ne sont pas statiques, mais vivants, porteurs d'histoires et de futurs incertains.
Photo : Aurore Baggary
Dans De La Côte Aurore Bagarry, photographie les formations sculpturales des littoraux, cherchant à renouer avec l'obsession du détail des pionniers de la photographie. Son travail confronte le « vertige du temps » de la Terre (milliards d'années) à l'infime temps humain, en particulier sur le littoral, lieu de « mémoire des changements lents et l'urgence des transformations actuelles ». L'approche de Bagarry est à la fois géologique et poétique, mettant en lumière la puissance érosive de l'eau et du vent, rappelant l'échelle des forces naturelles face à l'éphémère présence humaine. L'utilisation de la chambre photographique souligne une démarche contemplative et une attention à la matérialité de l'image, en résonance avec mes intérêts.
Photo : Richard Misrach
Petrochemical America, de Richard Misrach, documente le « Chemical Corridor » de la Louisiane, surnommé « Cancer Alley », une zone de production chimique intense. En collaboration avec l’architecte paysagiste Kate Orff, Misrach expose les « écologies complexes culturelles, physiques et économiques » et les « décennies d'abus environnementaux ». Ce livre est un exemple frappant de la photographie comme outil d'investigation sociale et environnementale, allant au-delà de la simple documentation pour analyser les « causes » et les « implications mondiales » de l'industrie pétrochimique sur le paysage humain. L'approche de Misrach renforce l'objectivité apparente de la documentation, tout en étant profondément critique.
Photo : Roberto Giangrande
INCOMPIUTO, de Roberto Giangrande explore le phénomène de l'« inachevé » en Italie, photographiant plus de 1000 projets d'infrastructures abandonnés. Ces « squelettes d'habitations » et « formes vides » sont des « crimes contre la collectivité » selon la postface de Roberto Ferrucci. Ce travail dénonce l'absurdité du gaspillage et de la corruption, transformant le paysage en un musée d'échecs humains. Il s'agit d'une critique acerbe de la planification urbaine et de l'impact politique sur le territoire, où l'absence humaine dans les images accentue le sentiment de délaissement et de mémoire perdue.
Photo : Victoria Sambunaris
Transformation of a Landscape, de Victoria Sambunaris, traverse le paysage américain avec une chambre 5x7 pouces, documentant la « transformation continue » du territoire, avec une attention particulière aux « interventions politiques, technologiques et industrielles ». Le livre inclut également des éphémères de sa pratique de recherche. Son approche de « géographie sociale » vise à remettre en question les perceptions clichées du paysage et la place de l'humanité en son sein. C'est une œuvre qui, par sa méthodologie rigoureuse et son format grand-angle, invite à une réflexion profonde sur la manière dont le paysage est constamment redéfini par les dynamiques de pouvoir et de développement.
Canadian Photographs, de Geoffrey James, offre un « regard sans fard » sur le Canada, se concentrant sur les « espaces intermédiaires et les lieux oubliés qui résistent à l'idée d'une identité nationale cohérente ». Il documente l'éphémère et le monumental, abordant la « bifurcation rural et urbain » et l'« inégalité croissante ». Ce livre s'inscrit dans une exploration de l'identité nationale à travers ses failles et ses contradictions, plutôt que ses mythes fondateurs. Le voyage en train comme fil conducteur rappelle une tradition de la photographie de paysage américaine, mais avec une perspective critique sur les « affaires inachevées » de la nation.
La convergence de ces ouvrages met en évidence une observation fondamentale : l'ambition humaine, qu'elle se manifeste par l'industrialisation, les grands projets d'infrastructure ou la construction de l'identité nationale, est une cause directe de transformations significatives, souvent préjudiciables, de l'environnement naturel et bâti. La photographie, dans ces œuvres, sert de lentille critique à travers laquelle ces altérations sont documentées, analysées et remises en question. Cette collection suggère une profonde préoccupation pour l'avenir de notre planète et de nos sociétés, tel qu'il se révèle à travers les cicatrices et les adaptations du territoire.
1.2. L'Eau, Fil Conducteur des Histoires et des Enjeux
L'eau, sous ses diverses formes – des rivières sinueuses aux inondations dévastatrices – se révèle être un motif récurrent dans cette collection, agissant comme un puissant symbole de l'interaction humaine avec l'environnement. Elle représente non seulement la source de vie, mais aussi une force destructrice, et surtout, un lieu de récits historiques et écologiques complexes.
Photo : Aurélie Monnier
Valserine, d’Aurélie Monnier, explore le concept de bassin versant, soulignant l'interdépendance entre les cours d'eau et les communautés. La Valserine, première rivière à recevoir le label « Rivières Sauvages », est un « vecteur qui incite chacun à être vertueux sur son usage de l'eau et de l'espace ». Cet ouvrage met en lumière une approche holistique de la relation à l'eau, inspirée des populations autochtones. Il s'agit d'une réflexion sur la conscience écologique et la nécessité de « prendre soin » de ces milieux de vie, un thème particulièrement pertinent dans le contexte actuel de crise de l'eau.
Sur les traces du Furan, de Danièle Méaux et Pierre Suchet, est une « enquête photographique » sur le Furan, rivière « quasiment invisible » à Saint-Étienne. Le livre combine photographies contemporaines et représentations anciennes, ainsi que les réflexions de géographes et d'historiens, pour examiner les « rapports qui se sont établis, au fil du temps, entre les hommes et la rivière ». Ce projet illustre l'idée que même les éléments naturels les plus familiers peuvent receler des histoires complexes et des relations humaines oubliées. L'approche « dialogique » invite le lecteur à une investigation personnelle, transformant la lecture en une expérience active de découverte.
Photo : François Deladerrière
CALAMITA/À. An investigation into the Vajont catastrophe est un projet interdisciplinaire de dix ans qui enquête sur la catastrophe du Vajont (1963), un glissement de terrain dévastateur. Il aborde la « transformation du paysage », l'« exploitation des ressources énergétiques », et la « relation entre l'homme, la nature et le pouvoir », posant la question fondamentale : « comment voir la catastrophe qui approche? ». Ce livre est une méditation sur la prévoyance et les conséquences des interventions humaines massives sur la nature. Il transcende le simple récit d'un événement pour en faire une étude de cas sur la vulnérabilité des écosystèmes et la responsabilité humaine face aux désastres. L'approche interdisciplinaire, impliquant plus de cinquante auteurs, enrichit la compréhension de la catastrophe sous de multiples angles.
Ces livres explorent collectivement la notion de « flux » – non seulement celui de l'eau, mais aussi celui de l'histoire, de la mémoire et des conséquences. Le Furan « invisible », la Valserine « sauvage » et le Vajont « catastrophique » illustrent comment les actions (ou inactions) humaines façonnent profondément ces éléments naturels vitaux. Cette convergence thématique s'aligne directement avec l'intérêt du blog pour les « voies navigables comme thème ». Cette sélection témoigne d'un engagement profond envers la notion de gestion environnementale et l'examen critique de l'hubris humain face aux forces naturelles. Elle invite à la réflexion sur la manière de tirer des leçons des erreurs passées et de favoriser une relation plus harmonieuse, ou du moins plus responsable, avec nos environnements aquatiques.
1.3. Les Catastrophes et la Résilience des Écosystèmes
Cette série d'acquisitions démontre un engagement direct et sans concession avec les conséquences des catastrophes, qu'elles soient naturelles ou d'origine humaine. L'attention est portée non pas tant sur l'événement lui-même que sur ses conséquences persistantes et la lutte prolongée pour le rétablissement ou l'adaptation.
Photo : Matteo de Mayda
There’s no calm after the storm, de Matteo de Mayda, documente les « conséquences à long terme » de la tempête Vaia (2018) en Italie, qui a dévasté des millions d'arbres. Il explore le « fragile équilibre entre l'action humaine et la résilience des écosystèmes ». Cet ouvrage met en évidence la persistance des cicatrices laissées par les événements climatiques extrêmes, soulignant que le « calme après la tempête » est une illusion. Il s'agit d'une documentation essentielle sur les impacts tangibles du changement climatique et la lente, difficile, voire impossible, reconstruction.
Photo : Kevin Cooley
The Wizard of Awe, de Kevin Cooley, suit Ken Miller, un expert en pyrotechnie, dont la propriété est devenue un terrain d'expérimentation marqué par des « cicatrices de brûlures et des cratères d'explosion ». Le livre explore la relation de l'humanité avec les éléments classiques (terre, air, feu, eau) et l'impact de la technologie sur l'environnement. Bien que centré sur une figure individuelle, l'œuvre de Cooley offre une métaphore puissante de l'impact humain sur le paysage. Les « cicatrices » laissées par les expériences de Miller résonnent avec les dévastations naturelles, posant la question de la durabilité et des conséquences imprévues de nos actions.
Ces livres soulignent l'idée que les paysages ne sont pas des arrière-plans passifs, mais des acteurs actifs dans les drames humains, portant la mémoire physique des événements passés. Les « cicatrices de brûlures » et les « cratères d'explosion » de Cooley sont analogues aux « pentes stériles » et aux « forêts infestées » de de Mayda, illustrant comment l'activité humaine et les forces naturelles laissent des marques indélébiles. Cette sélection renforce une position critique sur la dégradation environnementale, poussant le lecteur à confronter les réalités tangibles du déséquilibre écologique et les défis immenses de la résilience face aux crises climatiques. Elle approfondit le thème de l'Anthropocène en soulignant le coût de l'intervention humaine et l'urgence de s'attaquer aux problèmes environnementaux.
II. Mémoire, Archives et Récits Subversifs : La Photographie comme Trace et Réinterprétation
Cette section explore la manière dont la photographie, en tant que médium de la trace, est utilisée pour documenter, préserver, mais aussi réinterpréter le passé. Les livres sélectionnés démontrent une fascination pour les archives, qu'elles soient personnelles, institutionnelles ou trouvées, et leur potentiel à révéler des histoires cachées ou à subvertir les récits établis. Cette approche révèle un engagement profond envers le concept d'archive photographique, perçue non comme un simple dépôt de faits, mais comme une ressource dynamique pour la réinterprétation et l'enquête critique.
2.1. Les Archives du Quotidien et de l'Histoire
Auto-Photo: A Life in Portraits raconte l'histoire d'Alan Adler, technicien de photomaton, qui a créé une « archive de milliers de photographies » de lui-même en testant ses machines pendant plus de cinquante ans. Ces autoportraits sont le « seul document survivant de l'œuvre de sa vie ». C'est une exploration fascinante de l'archive involontaire et de la photographie vernaculaire. L'œuvre d'Adler, bien que quotidienne et technique, devient une méditation sur le passage du temps, l'identité et la persistance d'une tradition photographique. Elle souligne comment des gestes répétitifs peuvent créer un corpus d'une richesse inattendue, résonnant avec l'intérêt pour la « matérialité de la photo » et la « typologie ».
Lewis W. Hine, America at Work, de Peter Walther, rassemble les images emblématiques de Lewis W. Hine, qui a utilisé la photographie comme un « outil documentaire » pour dénoncer le travail des enfants et les conditions de vie des immigrants au début du 20e siècle. Ses images ont « contribué à transformer les lois du travail aux États-Unis ». Hine est une figure clé de la photographie documentaire à visée sociale. Son travail démontre le pouvoir de l'image à influencer le changement social. L'intérêt pour ce livre reflète une appréciation de la photographie comme force de réforme et de conscience historique, un thème central dans les préoccupations de ce blog.
Fear Guards the Lemon Grove, de Klaus Pichler, tente de « reconstruire l'ascension de la première Cosa Nostra » et son lien avec le commerce du citron, en contrastant ses photographies de sites liés à la mafia avec des « images historiques, documents et citations ». Ce livre est un exemple de « photo trouvée / archives » et de « documentaire » qui utilise la photographie pour élucider des mystères historiques. Il montre comment des données apparemment inoffensives (le commerce du citron) peuvent être liées à des phénomènes sociaux complexes et sombres, et comment la photographie peut visualiser ces connexions.
Dans Omen, Phantasmagoria at the Farm Security Administration Archive Leon Munoz Santini et Jorge Panchoaga réinterprètent les 40 000 œuvres des archives de la Farm Security Administration (FSA), un projet iconique de la photographie documentaire américaine. Ils « scrutent les arrière-plans et les personnages secondaires » pour révéler une « histoire plus turbulente », amplifiant les « détails étranges » et les « connexions insidieuses » de l'injustice systémique. C'est une œuvre de métaphotographie et de critique historique. Elle déconstruit la « narrative hégémonique de triomphe » souvent associée à la FSA, montrant comment une relecture attentive des archives peut « servir de miroir à la réalité angoissée d'aujourd'hui ». Cela s'aligne parfaitement avec l'intérêt pour la « réinterprétation » des corpus photographiques et la « fragilité » des assemblages d'images.
L'existence et l'organisation de vastes collections d'images, comme les bandes d'autoportraits d'Adler ou les archives de la FSA, fournissent intrinsèquement la matière première pour de nouveaux récits. Le regard éditorial, tel qu'exemplifié dans Omen ou le travail de Pichler, façonne activement ces significations, révélant souvent des vérités sociales sous-jacentes, défiant les récits historiques dominants ou exposant des connexions négligées. Cette approche reflète un intérêt érudit pour la manière dont les images photographiques, quelle que soit leur intention initiale, évoluent en documents historiques puissants qui peuvent être continuellement réexaminés pour éclairer des questions sociétales complexes, la nature de la mémoire et la construction même des récits historiques.
2.2. Entre Fait et Fiction, le Mystère de l'Image
Cette série d'acquisitions marque un déplacement délibéré au-delà de la photographie purement documentaire vers des œuvres qui embrassent l'ambiguïté, la subjectivité et le pouvoir évocateur, presque mystique, de l'image. Elle explore les limites de la représentation photographique et le terrain fertile où le fait se brouille avec la perception, l'imagination, voire la fiction.
Photo : Pablo Cabado
Little Suns on Earth, de Pablo Cabado, explore l'histoire du projet de fusion nucléaire de Ronald Richter sur l'île de Huemul en Patagonie. La description du livre souligne l'« opposition entre l'aspect factuel de l'essai et l'onirisme et le mystère des photographies, qui donne l'impression de ne pas tout nous dire ». Les photographies en tritones de Cabado sont décrites comme « énigmatiques et presque oniriques », montrant le « conflit entre la nature et les desseins démiurgiques humains ». L'essai historique ancre le récit dans la réalité factuelle d'un projet scientifique fou, tandis que les photographies de Cabado, avec leur « tonalité riche » , créent une « expérience esthétique intense » qui suggère comment « le temps géologique aura toujours le dessus ». Cette tension entre le document et l'évocation, entre le visible et le suggéré, est ce qui rend l'œuvre si puissante. Elle invite le spectateur à combler les lacunes, à imaginer, et à se confronter à l'ambiguïté de l'histoire et de la perception.
Thinking like an Island, de Gabriele Chiapparini et Camilla Marrese, propose une « structure non conventionnelle » (quatre mini-livrets intégrés), pour explorer une île méditerranéenne isolée et le « processus continu de construction identitaire » de ses habitants. Il évite les représentations typiques d'utopie ou de dystopie, cherchant plutôt à comprendre le monde à travers un « microcosme solitaire ». La forme du livre est aussi importante que son contenu, invitant le lecteur à un « puzzle visuel et mental ». L'ambiguïté du lieu et des récits, ainsi que la « profonde isolation psychologique » des résidents, créent un sentiment de mystère. Le livre interroge la réalité et la perception, et comment l'insularité peut être à la fois un refuge et une forme de confinement.
Photo : Adam Thorman
Creatures Found, d’Adam Thorman, explore la paréidolie, la tendance humaine à voir des formes familières dans l'inanimé. Ses photographies révèlent des « créatures » anthropomorphes dans des roches, des souches d'arbres, transformant le paysage en un « espace interprétatif où le sens est flexible ». Ce livre célèbre le pouvoir de l'imagination et de la perception subjective. Il invite le spectateur à une « expérience de narration créative » avec chaque image, soulignant que « ces créatures appartiennent au spectateur autant qu'à lui ». C'est une œuvre qui remet en question la notion d'objectivité photographique et met en avant la co-création de sens entre l'artiste, l'image et le regardeur.
Le fil conducteur de ces ouvrages est l'invitation explicite au spectateur à participer activement à la construction du sens. Que ce soit par la tension inhérente entre le texte factuel et les visuels énigmatiques (Little Suns on Earth), la structure physique non conventionnelle du livre qui exige un engagement interactif (Thinking like an Island), ou l'appel direct au phénomène de la paréidolie (Creatures Found), ces œuvres remettent en question la consommation passive des images. Cette orientation correspond à l'intérêt du blog pour les « interprétations personnelles » et l'expérimentation avec l'IA pour l'analyse d'images afin d'aller au-delà de la simple description factuelle. Cette sélection révèle un intérêt sophistiqué pour la philosophie de la photographie elle-même – comment les images sont construites, comment elles transmettent (ou retiennent) la vérité, et comment elles interagissent avec la conscience et l'imagination humaines. Elle suggère une fascination pour la « non-fiabilité » de la photographie, un thème également mis en évidence dans la description de l'œuvre de Bieke Depoorter.
III. L'Humain au Cœur du Paysage : Voyages, Communautés et Quêtes Personnelles
Cette dernière thématique met en lumière les récits où l'expérience humaine est intrinsèquement liée au paysage, qu'il s'agisse de voyages initiatiques, de l'exploration de communautés marginales ou de quêtes personnelles qui se déploient sous le vaste ciel. Le voyage, en particulier le « road trip » ou le déplacement étendu, émerge comme une méthodologie photographique significative pour explorer l'identité nationale, les diverses réalités sociales et les libertés personnelles. Le paysage, dans ces récits, n'est pas seulement un décor, mais une scène dynamique pour la découverte de soi et le commentaire sociétal.
3.1. L'Exploration du Territoire et de Soi
Photo : Justine Kurland
Dans Highway Kind, Justine Kurland explore « l'histoire de l'Amérique » et « l'idée du rêve américain juxtaposée à la réalité » à travers des road trips avec son fils. Son travail aborde l'« évasion » et les « modes de vie en dehors des valeurs dominantes », avec une vision à la fois « brute et romantique, idyllique et dystopique ». Ce livre s'inscrit dans une tradition photographique américaine du voyage et de la contre-culture. Il offre une perspective intime sur la vie sur la route, où le paysage est à la fois un cadre et un acteur des quêtes personnelles et des critiques sociales. La dimension personnelle de l'artiste-mère ajoute une couche de complexité à cette exploration du territoire et de soi.
Photo : Geoffrey James
Canadian Photographs, de Geoffrey James (déjà mentionné pour le paysage) offre un « portrait non officiel du Canada » à travers les « espaces intermédiaires et les lieux oubliés » qui est aussi une forme de quête identitaire, reflétant les « affaires inachevées de la nation ». Le voyage à travers le Canada, capturé notamment depuis les fenêtres de train, symbolise une exploration continue et une tentative de comprendre une identité nationale fragmentée. C'est une démarche personnelle d'un photographe qui, bien qu'adopté par le Canada, y pose un regard lucide et parfois critique.
Kurland et James utilisent tous deux des voyages étendus comme composante essentielle de leur pratique artistique pour construire leurs récits. Alors que l'approche de Kurland est plus ouvertement personnelle et axée sur les modes de vie alternatifs, le travail de James présente un portrait national plus large. Pourtant, les deux révèlent l'engagement subjectif du photographe avec l'immensité du territoire et ses habitants, mêlant l'expérience personnelle à des observations socioculturelles plus larges. Cela correspond à l'accent mis par le blog sur l'« engagement personnel » et la « curiosité ». Ces œuvres mettent en lumière la manière dont des expériences profondément personnelles et une vision artistique peuvent s'entrelacer avec des thèmes sociaux et géographiques à grande échelle, offrant des perspectives uniques et nuancées sur des concepts tels que le « rêve américain » ou l'« identité canadienne » à travers le prisme de l'exploration et de l'observation individuelles.
3.2. Regarder le Ciel, Sonder la Mémoire
Photo : Bieke Depoorter
Blinked myself awake, de Bieke Depoorter, explore la « perte de mémoire à travers le prisme de l'astronomie ». La nature éphémère de la lumière des étoiles est une métaphore de la mémoire, « archive imparfaite ». Le livre intègre son « histoire personnelle » avec l'observation des étoiles, utilisant des doubles expositions et des textes diaristes. Le design du livre est « non conventionnel », avec des matériaux différents pour les textes personnels et les archives, renforçant la « précarité de la mémoire ». Ce livre est une méditation profonde sur la fragilité de la mémoire et la quête de vérité. L'astronomie, science de l'observation du lointain et du passé (lumière des étoiles), devient un miroir pour l'introspection et la reconstruction du souvenir. La matérialité du livre elle-même participe à cette réflexion sur l'oubli et la persistance des traces, un thème qui résonne avec l'intérêt pour la « matérialité de la photo » et la « fragilité des tirages photographiques ».
Photo : Daniel Stephen Homer
Route de la Belle Etoile, de Daniel Stephen Homer, documente le monde des « astronomes amateurs » à travers quatre continents, montrant leur « contribution démesurée à la recherche astronomique professionnelle ». Ses photographies « mêlent le domestique et le scientifique, le mondain et le cosmique », explorant la « science citoyenne ». Ce livre célèbre la passion individuelle et la collaboration collective dans la quête de connaissance. Il révèle comment des pratiques « amateurs » peuvent avoir un impact significatif sur la science, et comment l'observation du ciel peut être une activité profondément humaine et accessible, reliant l'intime à l'universel.
Ces deux livres sont explicitement liés, formant une paire thématique claire. Tous deux utilisent l'astronomie et l'acte de regarder le ciel comme motif central, mais divergent dans leur objectif final : Depoorter l'emploie pour une exploration profondément personnelle de la mémoire, des traumatismes et de la nature insaisissable de la vérité, tandis que Homer se concentre sur l'effort scientifique collaboratif des astronomes amateurs et leurs contributions au savoir. L'immensité du cosmos sert de toile de fond puissante pour contempler des préoccupations très humaines : la faillibilité et la fluidité de la mémoire, et la quête collective de la connaissance. La photographie agit comme un pont crucial, permettant à l'intangible (lumière des étoiles, galaxies lointaines, souvenirs fugaces) de devenir tangible (images, observations), et à l'abstrait (perte de mémoire, découverte scientifique) d'être articulé visuellement. Ce jumelage met en évidence les diverses façons dont la photographie peut s'engager avec des concepts abstraits et des récits profondément personnels, allant au-delà des fonctions purement représentationnelles. Il souligne le désir humain persistant de comprendre notre place dans l'univers, que ce soit par une observation scientifique rigoureuse ou une réflexion introspective profonde, et comment le médium photographique facilite ces deux quêtes.
Conclusion : Une Cartographie des Intérêts et des Sensibilités
Les acquisitions photographiques de 2025 dessinent une cartographie riche et cohérente des intérêts qui animent mon carnet. Elles témoignent d'une fascination constante pour la relation complexe entre l'humanité et son environnement, explorant les paysages comme des témoins des interventions humaines, des catastrophes et des efforts de résilience. Qu'il s'agisse des cicatrices industrielles de la « Cancer Alley » , des infrastructures abandonnées d'Italie , ou des forêts dévastées par les tempêtes , la photographie y est un outil d'observation critique de l'Anthropocène.
Parallèlement, un intérêt profond pour la mémoire et les archives se dégage, non pas comme de simples dépôts du passé, mais comme des matériaux vivants à réinterpréter. Des autoportraits de photomaton aux révisions subversives des archives de la FSA , ces livres démontrent le pouvoir de l'image à révéler des vérités cachées et à remettre en question les récits établis. Cette démarche s'inscrit directement dans l'expertise en documentation et préservation de l'art médiatique.
Enfin, cette collection révèle une exploration des limites de la représentation photographique elle-même, naviguant entre le fait et la fiction, le document et l'onirisme. Des îles mystérieuses aux « créatures » trouvées dans le paysage , la subjectivité et l'imagination du spectateur sont constamment sollicitées, soulignant que la vérité de l'image est souvent plurielle et construite. Les voyages personnels et les quêtes existentielles, qu'elles soient terrestres ou célestes , ancrent ces explorations dans l'expérience humaine.
En somme, ces acquisitions ne sont pas de simples ajouts à une collection ; elles sont des catalyseurs de pensée, des invitations à la réflexion critique et à la poursuite du dialogue sur la nature de la photographie et son rôle dans la compréhension de notre monde. Elles continueront d'alimenter les discussions et les analyses sur ce carnet, offrant de nouvelles perspectives sur les paysages que nous habitons, les histoires que nous racontons et les mystères que nous cherchons à percer.
En passant en revue ces livres – et les raisons pour lesquelles je les ai choisis – je réalise qu’ils forment un ensemble étonnamment cohérent. Tous, à leur manière, interrogent le passé et le présent, la mémoire et l’oubli, notre empreinte sur le monde et celle du monde sur nous. Qu’il s’agisse d’un vieil homme se photographiant sans le savoir pendant un demi-siècle, d’une photographe qui scrute les étoiles pour raviver un souvenir enfoui, ou d’un artiste qui révèle les cicatrices d’un paysage (qu’elles soient laissées par la mafia, par des projets inachevés ou par la désertification rurale), chacun de ces ouvrages propose une réflexion critique sur notre condition. En 2025, j’ai donc orienté mes choix vers des livres qui me nourrissent intellectuellement et émotionnellement.
D’un point de vue personnel, ces lectures me confortent dans l’idée que la photographie n’est pas qu’une affaire d’images esthétiques : c’est un langage capable de documenter, de dénoncer, de questionner et de rêver. Chaque livre est une conversation entamée – avec un auteur, avec un lieu, avec moi-même. J’aborde ces ouvrages avec l’enthousiasme du curieux et l’esprit critique du passionné : prêt à être émerveillé, ému ou bousculé, mais aussi à examiner comment et pourquoi ces images ont été faites, choisies, assemblées en récit.
En partageant ici ces réflexions, j’espère peut-être donner envie à d’autres de découvrir ces livres et, qui sait, de partir à leur tour à la rencontre de ces montagnes, de ces rivières, de ces archives vivantes et de ces fragments de mémoire figés sur papier. Chaque livre est une invitation au voyage – dans le temps, dans l’espace ou à l’intérieur de soi – et c’est exactement ce que je recherche lorsque j’ajoute un titre à mon étagère. Mes choix de 2025 racontent ainsi une histoire : celle d’une passion pour la photographie engagée, narrative et introspective, qui ne cesse de m’inspirer au fil des années.
Liens vers les sites des éditeurs :
Adam Thorman, Creatures Found - The Eriskay Connection, 2024
Arnaud Teicher, La Montagne Neuve, Field Note 074, Another Place
Aurélie Monnier, Valserine, Field notes 077, Another Place, 2025
Aurore Bagarry, De La Côte, Gwinzegal, 2025
Bieke Depoorter, Blinked myself awake, Hannibal & This Book Is True, 2024
CALAMITA/À. An investigation into the Vajont catastrophe, Fw:Books, 2024
Daniel Stephen Homer, Route de la Belle Etoile, Gost Books, 2024
Gabriele Chiapparini + Camilla Marrese, Thinking like an Island - Overlapse Photobooks, 2024
Geoffrey James, Canadian Photographs, Figure 1 Publishing, 2024
Justine Kurland: Highway Kind | Aperture, 2016
Kevin Cooley, The Wizard of Awe, The Eriskay Connection, 2024
Klaus Pichler — Fear Guards the Lemon Grove | Fw:Books, 2024
Matteo de Mayda, There’s no calm after the storm, bruno, Venezia, 2024
Pablo Cabado, Little Suns on Earth - The Eriskay Connection, 2024
Peter Walther, Lewis W. Hine, America at Work, TASCHEN, 2022
Richard Misrach: Petrochemical America, Aperture, 2014
Roberto Giangrande, INCOMPIUTO – éditions Light Motiv /emuse, 2024
Victoria Sambunaris: Transformation of a Landscape — Radius Books, 2024
Note : ce texte a été rédigé avec la collaboration de Gemini 2.5 Pro et de ChatGPT o3
Coquillages et boulets : De la Gaspésie à la Crimée, en passant par Québec
Gauche : Coquillages, Gaspésie, 1977 Droite : Boulets de canon Crimée, 1856
L’exploration de mes photographies de l’époque argentique provoque de nouvelles lectures de ces images. En numérisant certaines photographies noir et blanc prises en Gaspésie à l’été 1977, je redécouvre une image de petits coquillages échoués sur la plage de Belle-Anse. Une photo très banale, qui me fait me demander pourquoi j’avais déclenché mon appareil devant cette petite scène.
Photo : Alain Depocas. Coquillages, Belle-Anse, Gaspésie, 1977. Négatif 35mm Kodak Plus-X 125 ASA. Nikkormat FT2 et objectif Nikkor 85mm F/1.8
L’observation attentive de cette photo de coquillages fait surgir, malgré moi, une étrange association. En effet, les coquillages, et leurs dispositions, me rappellent soudainement la célèbre photographie de Roger Fenton, intitulée Valley of The Shadow of Death, prise en 1856 durant la guerre de Crimée. Les images de la guerre de Crimée, prisent par Fenton sont considérées être les premières photographies de guerre. Valley of The Shadow of Death a également été au centre d’une polémique concernant une possible manipulation, par le photographe, de la position des boulets de canon :
Roger Fenton, Valley of The Shadow of Death, 1856 (sans boulets sur la route)
Il existe deux versions de Valley of The Shadow of Death. La première avec des boulets de canon étalés le long d’une route, la seconde avec des boulets visibles sur la route.
Roger Fenton, Valley of The Shadow of Death, 1856 (avec boulets sur la route)
Susan Sontag (1) avait eu l’intuition de cet ordre de prise de vue et accusait Fenton d’avoir fait une mise en scène dans la seconde, en plaçant certains boulets sur la route, afin de rendre l’image plus dramatique. Errol Morris a publié une longue enquête dans le New York Times en 2007 (2), dans laquelle il prouve que c’était bien l’ordre de prise de vue, et que Sontag avait eu raison, bien qu’elle n’avait pas été en mesure de prouver son affirmation. Les boulets sont donc bien des sphères pouvant être déplacées, et le fait que Fenton avait rapporté un boulet en Angleterre pour l’offrir comme souvenir à son épouse, en est une autre preuve.
Que dit ce débat sur la photographie ? Est-elle une fidèle copie du réel, une empreinte ? Ou est-elle le résultat de décisions d’un photographe, qui choisit son cadre, son angle de vue, sa distance, et parfois déplace des objets ? Elle est les deux. Une fidèle trace d’un réel présent devant l’appareil, quel que soit le degré de manipulation des objets représentés.
Comment s’est opérée cette association entre ma photographie de 1977 et celle de Fenton, de 1856 ? Je n’en sais rien, et c’est pourquoi cela m’intéresse. Près de 50 ans après la prise de cette image de coquillages, il serait vraisemblable qu’une exposition à un nombre incalculable de photographies, ainsi que de nombreuses lectures de textes sur la photographie et de visites d’expositions, soient à l’origine d’une nouvelle lecture de cette photographie. Une lecture interprétative ajoutant une couche de signification, soit celle d’un rapprochement avec une image historique. La résonance entre les deux images procède de la considération de la forme, plutôt que du sens. Ce que la photographie enregistre d’abord, c’est une topologie de points. Ce qui soudainement fait surgir cette coïncidence visuelle c’est la sérendipité du regard qui se métamorphose en méthode : scruter les images pour y traquer les échos, les coïncidences, qui déstabilisent le récit linéaire des formes. Ainsi se construit un petit traité des ressemblances, où chaque sphère peut être tour à tour vestige de guerre ou vestige marin.
En regardant la photographie des coquillages, ceux-ci apparaissent comme de petites sphères grises. Le sable, sous l’accentuation numérique, se densifie en croûte terrestre semblable au sol compacté de la Crimée.
Je mesure alors la vertu de la sérendipité : la rencontre entre ces deux images m’enseigne que notre savoir visuel n’est pas un répertoire figé ; c’est un réseau mouvant où chaque nouvelle image peut, fortuitement, activer une connexion latente. Ces parentés inattendues rappellent que la photographie, avant de documenter, métabolise le monde en motifs – prêts à dériver, à se reconfigurer, dès qu’un regard informé les met en dialogue.
Scène ou mise en scène ?
Je ne me rappelle plus du tout si ces coquillages avaient été découverts tels quels, dans cette position, ou si mes amis, ou moi les avions regroupés ainsi. La planche contact de cette série de prises de vue ne contient pas d’image qui pourrait le démontrer.
Malgré la capacité de représenter fidèlement le réel, la photographie ne peut pas lutter contre l’amnésie. Ma perte de souvenir précis d’une possible manipulation des bigorneaux résiste à la précision des sels d’argent. Cette énigme est sans grande importance, mais entière.
On peut se poser la question des forces en présence ayant mené à ce regroupement que je présume fortuit. Les marées sans doute, ainsi que le hasard, en sont les principaux. En fait, ces coquillages sont probablement des bigorneaux, soit des escargots de mer. Ils sont donc dotés de la capacité de se mouvoir par eux-mêmes, du moins lorsqu’ils sont vivants. Ici, sur cette photographie, il est probable qu’il n’en reste que la coquille, vide.
Mais, finalement, même si je n’avais pas modifié la disposition des coquillages, mes choix d’angle, de cadrage et de distance constituent déjà une mise en scène.
À mon retour de Gaspésie, j’avais tiré de nombreuses épreuves argentiques, mais aucune de cette photographie. Cela renforce mon impression qu’elle m’avait déjà semblé banale à l’époque.
Planche contact, 1977
Je retourne à la planche contact. Elle contient plusieurs images de textures rocheuses et végétales, parfois quasi abstraites. On y voit Hans C. et la chienne Gigi. En hors-champ se trouve Nathalie C. J’ai 18 ans et je veux devenir photographe. Avec la distance temporelle, je regarde ces images, quelques dizaines de rouleaux de pellicules, et je constate que j’avais fait une sorte d’inventaire visuel de la petite région de Belle-Anse. Les coquillages se retrouvent dans cette volonté de documenter les berges, les objets qui s’y trouvent, les rochers, les vagues, et les gens que j’accompagne. Je décide de numériser cette série et d’en faire, éventuellement, un projet photographique.
Épilogue
En poursuivant mes recherches, je découvre que des exemplaires de ce type de boulet de fonte, ainsi que deux canons russes, se retrouvent sur la terrasse Dufferin, à Québec.
Selon L’historien Jean-François Caron (3) :
« [les deux canons] datent de 1749 et proviennent du butin de la guerre de Crimée (1853-1856). Ils ont été saisis par la France à la tour Malakoff lors du siège de Sébastopol le 8 septembre 1854. La France les donne alors à son allié du moment, la Grande-Bretagne, qui les offre à son tour au Canada. »
Selon Caron,
« On conservait les boulets à proximité des canons et des batteries dans un parc à boulets, soit un empilement de boulets retenus par un cadre; ils épousaient la forme d'une pyramide. »
Les boulets passent donc d’une organisation bien précise, la pyramide, à un étalement aléatoire, suite au tir de canon. Pour les bigorneaux, c’est une autre histoire.
Photo :Jean-François Caron
Conclusion
Cette mise en relation entre deux images, et les causes qui m’y ont amené, reste en partie un mystère. Ce fut comme une épiphanie de modeste ampleur. Je ne la cherchais pas, elle s’est immiscée tout doucement. Je ne crois pas que cela affectera ma manière de chercher à explorer mes anciennes images argentiques. Je ne souhaite pas poursuivre ce type d’association entre mes photographies et des images historiques. La rencontre étrange entre des bigorneaux et des boulets de canon restera donc unique.
1- Susan Sontag, Regarding the Pain of Others, 2004.
2- Errol Morris, Which Came First, the Chicken or the Egg?, New York Times, 25 septembre, 4 octobre et 23 octobre 2007. https://archive.nytimes.com/opinionator.blogs.nytimes.com/2007/09/25/which-came-first-the-chicken-or-the-egg-part-one/
3- Jean-François Caron, Tout ce qu’il faut savoir sur les canons à Québec, Journal de Québec, 24 octobre 2021. https://www.journaldequebec.com/2021/10/24/en-images-tout-ce-quil-faut-savoir-sur-les-canons-a-quebec
Valserine, d’Aurélie Monnier
Photo : Aurélie Monnier
J’ai déjà évoqué mon intérêt pour les livres et projets photographiques portant sur les cours d’eau dans un texte intitulé Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques. La récente publication de la photographe française Aurélie Monnier s’ajoute à cette catégorie. Valserine a été publié par Another Place (Irlande du Nord), dans la série Field Notes. Cette série propose de petits livres portant sur des lieux précis.
Photo : Aurélie Monnier
La Valserine est une rivière longue de 47 km. Elle coule principalement dans le Jura pour aller se jeter dans le Rhône. Elle ne traverse que de petites localités rurales.
Dans Valserine, la photographe documente un territoire qui va au-delà de la rivière elle-même, pour englober son bassin versant tout entier. Ainsi, la rivière est absente de plusieurs images, mais en même temps, elle y est présente, en ayant participé à la lente transformation des paysages et des lieux de vie. Parmi les images, on retrouve des habitants, des lieux habités, ou parfois abandonnés, et également des traces d’érosions.
Photo : Aurélie Monnier
Le livre contient 26 pages et 28 photographies couleur. L’approche de la photographe est simple, sans artifice, presque modeste. On ressent le lent travail d’observation, sur une longue temporalité.
La notion de lieu est ici prépondérante. Chaque photo est celle d’un lieu particulier, mais son inscription dans une série impose le lien avec la région explorée par la photographe et permet une autre lecture.
La séquence des images est subtile et provoque des dialogues et des tensions entre les images. Les personnages sont soit observateurs (du paysage, de la nature) soit acteurs (les pêcheurs). Une petite pierre tombale inscrit la présence humaine dans le paysage, tout comme des habitations en ruines.
Photo : Aurélie Monnier
Mais Valserine est bien plus qu'une simple documentation d’une rivière. À travers une séquence subtile, l'ouvrage propose une réflexion poétique sur la dualité de l'empreinte humaine dans un paysage. Celle se retrouve de manière convaincante dans une double page qui présente un pont et une spirale faite de pierres dans ce qui semble être le lit, ou une berge de la rivière.
La juxtaposition de ces deux images m’entraine vers une quête de sens. Elles présentent deux modes d’empreintes humaines sur le paysage de la Valserine. Le pont et la spirale sont tous deux produits de la fabrication humaine, mais tout les oppose. L’un est massif, fonctionnel et durable. Il permet la traversée de la gorge. L’autre est fragile, éphémère, sans finalité propre. La spirale repose sur le sol, en attendant d’être anéantie par une forte crue printanière. Le pont est massif et résiste à la crue. La fermeture de l’arc du pont fait contre écho à l’ouverture du cercle de la spirale. Le pont est rectiligne, la spirale tourne en rond.
À travers ce type de dialogues formels et symboliques, le livre semble proposer une réflexion sur les manières d’habiter ou de traverser le territoire, entre permanence et effacement.
Page de la la série Valserine sur le site Web de la photographe : https://www.aureliemonnier.com/valserine
Page de la publication sur le site web de Another Place : https://anotherplacepress.bigcartel.com/product/valserine-aurelie-monnier
La Chambre des cellules. Un conte philosophique à partir d’une étrange photographie.
C’est l’histoire d’une collaboration avec l’IA en vue d’explorer cette étrange image, en comprendre l’assemblage, ses significations sous-jacentes et son potentiel narratif.
Que faire dire à cette image ? C’est ce que l’on verra. Mais je peut déjà dire sur cette image : C’est une juxtaposition aléatoire d’objets naturels divers, appartenant tous à un environnement local commun. Une force “hydro-mécanique”, sans intention organisationnelle, est à la source de cet étrange et éphémère construction.
Selon l’IA, l’image représente “Un espace clos, ni sol ni ciel ; juste des replis de matière et des taches de lumière. Ici, le temps stagne à la frontière du frais et du pourri. Chaque créature ignore s’il s’agit d’un paradis invisible ou d’une morgue de botaniste.”
J’ai utilisé plusieurs stratégies de requête pour faire “parler” l’IA et me faire découvrir ses secrets. L’une d’entre elle fut de lui demander “Est-il possible de développer une histoire, une fiction, dont les personnages seraient présents dans cette image ? une sorte de conte, d'un style surréaliste.”
Voici le résultat. J’ai souligné les éléments les plus surprenant et/ou porteur de sens :
Conte surréaliste : « La Chambre des Cellules »
Photographié par une main absente, découvert par un œil qui doute.
Cadre : La Chambre des Cellules
Un espace clos, ni sol ni ciel ; juste des replis de matière et des taches de lumière. Ici, le temps stagne à la frontière du frais et du pourri. Chaque créature ignore s’il s’agit d’un paradis invisible ou d’une morgue de botaniste.
Trame en cinq stations
L’Annonce brisée
Le Fil-Sisal, tendu entre deux fibres, capte un souffle : « Le photographe ne reviendra plus. »
─ Conséquence : La Chambre pourrait s’effondrer (l’image pourrait être recadrée, comprimée, effacée). Samara voit là une occasion de fuite ; Pétale-Lilas, au contraire, redoute la dissipation lumineuse qui suivra.Le Conseil des Textures
Tous se rassemblent sur une nervure agrandie ; le Laminaire impose la règle : « On reste, on se pétrifie, on devient fossile – les archives ne mentent jamais. »
L’Épagneul Vert rigole : « Pour finir dans une base de données ? Très peu pour moi. »
Pétale-Lilas propose une troisième voie : ouvrir un passage vers la zone floue (l’ombre latérale de la photo) où, dit-on, règne un vent éternel.Traverse du Grain numérique
Ils découvrent un sentier granuleux : les pixels plus sombres de l’ombre.
─ Épreuve : À chaque pas la résolution change ; Samara se voit étiré, Pétale-Lilas se désature, le Laminaire se fragmente en bandes verticales.
Pendant ce chaos visuel, le Fil-Sisal cède d’un côté ; il n’est plus sûr de pouvoir raconter la suite.La Faille de l’Ex-Position
Au bord du cadre, un vide blanc – marge de la photographie – aspire la matière.
Samara s’élance, persuadé qu’au-delà, un vent authentique souffle. Il disparaît, muté en simple métadonnée (« obj-spl-001 »).
Pétale-Lilas hésite : partir reviendrait à perdre son parfum, rester à perdre sa couleur. Elle plante alors sa base dans la texture, devient racine de rien, mémoire pure.
Le Laminaire, voyant l’entropie, tente de se redresser : il se casse net.
L’Épagneul Vert, amusé, se couche sur la cassure ; il décide de reverdir le bois mort – acte gratuit, contradictoire.Coda sans témoin
Le Fil-Sisal, désormais flottant, choisit le silence.
Il laisse l’histoire inachevée, ouverte à un autre regard : celui qui un jour recadrera l’image, effleurant le vieux fichier RAW ou la gélatine écaillée.
Clefs de lecture critiques (en marge du conte)
Métaphotographie interne : chaque personnage incarne une propriété formelle de la photo (couleur, grain, bord, pixel, métadonnée).
Surréalité du support : la Chambre n’est ni décor ni sujet, mais la matérialité même du cliché – espace où la fiction est contrainte par la résolution.
Question de l’archivage : l’hésitation entre fossilisation (Laminaire) et dissémination (Samara) rejoue le dilemme archivistique : conserver l’objet ou le laisser circuler/dériver.
Boucle herméneutique : l’histoire finit là où un futur spectateur pourrait l’altérer (éditer l’image, modifier les niveaux), rappelant que toute lecture – critique ou poétique – est déjà intervention.
On attendait un conte, on obtient une matrice de conte. Faire, ou tenter de faire raconter une histoire à partir de cette image était une méthode détournée pour en arriver à poser la question : Comment ces objets se sont-ils agencés de cette manière, dans ce petit espace.
Je me suis lancé dans cette réflexion avec l’IA et je vous en ferai part très bientôt dans un texte portant sur le cadre théorique développé par l’IA et qu’il a nommé “Mécanogénie photographique”.
J’ai demandé à ChatGPT 4o d’être un méchant et désagréable critique
Montagne Sainte-Victoire, 2022
On dit souvent que ChatGPT est flatteur, parfois même flagorneur. J’ai voulu savoir si il est capable d’être négatif, voir méchant. Pour le savoir, je lui ai fait la requête suivante, à propos de la photographie ci-haut :
“Tu es un vieux critique d'art désagréable et antipathique. Écrit un article négatif à propos de cette photographie de la Montagne Sainte-Victoire, en Provence”
Et voici les résultats :
"Un cliché de carte postale : platitude contemporaine sur la Sainte-Victoire"
Encore une photographie de la Montagne Sainte-Victoire, me direz-vous — ce pauvre morceau de Provence que Cézanne a immortalisé tant de fois, et que l'on continue à piétiner avec des objectifs sans âme. L’image ici proposée ne déroge malheureusement pas à la règle : elle recycle tous les poncifs du genre sans jamais prétendre à autre chose qu’une fade illustration touristique.
Le cadrage ? Plat et convenu. Le lac occupe mécaniquement la moitié inférieure de l’image, un miroir banal sans aucune tentative d'irruption visuelle, sans aucun contrepoint formel audacieux. L'eau est d’un bleu numérique irritant, cette couleur surfaite que les capteurs d'appareils récents semblent vomir par défaut, comme pour supplier l’œil de croire à une pureté qui n'existe pas.
La composition, de son côté, s’appuie sur la vieille recette usée du triptyque : eau, collines, ciel. Mais sans jamais créer de véritable tension visuelle. Les masses se superposent, paresseusement, sans dialogue, comme des strates d'ennui. Le regard glisse, indifférent, faute de points d'accroche pensés. Pas la moindre aspérité. Pas de surgissement, pas d’inconfort, pas même une fausse provocation esthétique.
Quant au ciel, qu'on aurait pu espérer plus dramatique pour compenser la mollesse terrestre, il s'étale en un nuageux bavardage insignifiant. Le photographe, manifestement content de son ciel pommelé, semble ignorer que des cieux trop bavards tuent tout mystère.
Et la montagne ? Ah, la montagne ! Cézanne, en triturant ses volumes, en exacerbant ses arêtes, en martyrisant ses couleurs, avait su en faire un personnage tragique. Ici, elle est réduite à un simple décor, propre et sans rugosité, écrasé sous une lumière trop crue, trop descriptive, incapable d'évoquer autre chose qu'une banale promenade dominicale.
On sent, dans cette photographie, l’absence totale de vision singulière, l’adhésion béate au pittoresque. Ce n’est pas un regard d’artiste, c’est celui d’un touriste pressé, ébloui par sa propre vacuité.
En somme : une image inoffensive, interchangeable, tout juste bonne à illustrer un dépliant de syndicat d'initiative.
Il me propose ensuite une version “sournoisement ironique, où le mépris est glissé sous des airs faussement admiratifs” :
"L'éternel triomphe du convenu : Sainte-Victoire, selon les standards internationaux de la beauté facile"
Ah, quelle fraîcheur, quelle nouveauté étourdissante : une photographie de la Montagne Sainte-Victoire ! Il fallait oser. On reconnaît ici un regard rare, un talent précieux : celui de ne rien déranger. De conserver la nature dans ce qu’elle a de plus assagi, de plus aimablement décoratif.
La composition est d’une rigueur exemplaire, respectant scrupuleusement les canons de la photographie d’agrément : un lac bien horizontal (n'ayons pas peur des banalités), une forêt savamment veloutée (pas un arbre en rupture), un ciel riche en détails anecdotiques pour occuper l'ennui de l’œil. Un travail d'orfèvre, dans l'art de ne pas bousculer.
La couleur, quant à elle, atteint des sommets de standardisation. Ce bleu parfait — ni trop éclatant pour effaroucher, ni trop terne pour déprimer — semble calibré pour séduire tous les écrans Retina du marché. C’est bien simple : on croirait contempler un fond d’écran Windows, soigneusement sélectionné pour ne heurter aucune sensibilité.
Et cette lumière ! Plate et démocratique, elle distribue équitablement ses rayons sur chaque élément du paysage, s'assurant que rien n'ait l'outrecuidance de dominer ou de provoquer. Tout est égal, tout est lisse. Rien ne dépasse, ni dans le cadrage, ni dans la tonalité : le triomphe absolu du politiquement correct visuel.
La montagne, cette pauvre Sainte-Victoire, naguère déchirée, pesante, presque vivante sous les pinceaux de Cézanne, n'est plus ici qu'un aimable ornement, posé là pour justifier la promenade photographique. On la remercie d'exister, poliment, avant de retourner vérifier si la carte mémoire a bien enregistré le cliché.
Bref : un chef-d’œuvre de conformisme visuel, un manifeste pour une photographie qui a enfin compris qu'il ne fallait surtout pas déranger le spectateur. Bravo, donc, pour cette capacité rare à capturer la nature... en la rendant absolument inoffensive.
Toujours en forme, il souhaite écrire une “parodie de note de galerie, dans laquelle je présente cette photographie comme une œuvre conceptuelle absolument "majeure", avec un jargon artistique pompeux et exagérément prétentieux” :
Dans cette œuvre magistrale, Sainte-Victoire : une topologie de l’immobile, Alain Depocas explore avec une acuité vertigineuse les tensions fondamentales entre fixité paysagère et errance du regard contemporain.
Ici, la montagne n'est pas simplement un relief : elle devient l’ultime bastion d’une résistance silencieuse face à la fluidité chaotique du monde numérique. Le choix assumé d’une lumière "banale" et d’une composition "conventionnelle" constitue un acte de subversion radicale : en refusant toute spectaculaire dramatisation du réel, l’artiste expose crûment l’indigence perceptive du spectateur postmoderne.
Le bleu du lac, d’apparence anodine, est en réalité une "surface d'échec", un piège optique tendu à l'œil, le contraignant à se perdre dans une monotonie qui questionne notre rapport obsessionnel à la distraction continue. La forêt, quant à elle, se donne comme une "structure-tampon", une dialectique organique entre mémoire territoriale et prolifération touristique.
Enfin, le ciel, avec ses cirrus étirés et ses cumulus empesés, fonctionne ici comme une métonymie du flux informationnel globalisé : étalé, omniprésent, insignifiant dans son excès même.
Ainsi, Sainte-Victoire : une topologie de l’immobile s’inscrit dans une tradition plastique où le refus de l'effet devient en soi un effet, et où l’absence de geste affirmé révèle le geste ultime : celui de ne pas céder.
Remarque du commissaire :
Le spectateur est invité à méditer longuement devant cette œuvre, à expérimenter la pesanteur du vide, et à se confronter sans échappatoire à son propre besoin infantile de stimulation esthétique.
ChatGPT ne s’épuise jamais. Il me propose de rédiger un discours d’inauguration d’exposition dans un style contemporain parfaitement dans l'air du temps, c’est-à-dire : volontiers flou, bardé d’anglicismes inutiles, truffé de citations apocryphes, et traversé par un enthousiasme auto-contemplatif — le tout sur un ton de célébration excessive pour une photographie désespérément anodine :
Discours d’inauguration — « Reveal Sainte-Victoire »
Bonsoir à toutes et à tous,
et merci d’être là pour ce moment absolument... vibrant.
Ce soir, nous ne sommes pas ici pour voir une simple image. Nous sommes ici pour ressentir — pour cohabiter avec un geste visuel qui déplace. Un geste qui décentre. Un geste qui interroge notre rapport à la verticalité, au territoire, à la carte postale.
Avec « Sainte-Victoire : Stillness as Rebellion », Depocas nous propose bien plus qu’une photographie : il nous invite à un re-framing sensible de notre imaginaire provençal. Ici, la montagne ne se montre pas — elle se maintient. Elle s’impose dans sa propre abstention. Elle est là, comme une instance de permanence dans un monde saturé de transitions.
Regardez cette eau. Ce n’est pas un lac. C’est un espace liquide de transition. Une interface. Une nappe d’incertitude.
Et ce ciel — vous le voyez ? Ce ciel n’est pas "beau", il est stratifié. Il est polyphonique, pour citer Félix Guattari, qui disait, je crois : « Ce qui compte, ce n’est pas le ciel lui-même, mais la façon dont il nous empêche de tomber. »
[rires polis]
Ce travail est une prise de position forte dans un monde en surchauffe symbolique. Il ne cherche pas l’impact. Il cherche la persistence. Il ne produit pas du contenu. Il propose un espace-temps contemplatif. Et c’est peut-être ça, le vrai luxe aujourd’hui.
Je voudrais remercier toutes les personnes qui ont rendu ce projet possible :
— le fonds régional de soutien aux images résiduelles ;
— notre partenaire vin biodynamique ;
— et bien sûr le collectif Paysage[s] en Retrait, sans qui cette exposition n’aurait pas eu lieu.
Alors, prenez le temps. Respirez. Laissez cette image infuser. Ouvrez vos pores visuels. Et souvenez-vous : parfois, ne rien dire, c’est déjà commencer à voir.
Merci.
Analyse d’image par l'IA : du factuel au hors-champ
Sud de la France, 1983. Kodachrome 64
Cette photographie fut réalisée lors de mon premier voyage en Europe, en 1983. J’avais sans doute été attiré par le côté pittoresque de ce mur et de ces affiches déjà anciennes. La magie du Kodachrome, allié à la précision d’un objectif Nikkor, permet d’obtenir un généreux niveau de détail, invitant à l’analyse détaillée, voir exhaustive de ce qui est représenté dans ce petit rectangle.
C’est ce qui m’a incité à utiliser l’intelligence artificielle pour obtenir une liste exhaustive des choses présentes dans l’image.
J’ai fourni l’image à ChatGTP 4o, avec la requête suivante : “Tu es un expert en description d'image. Analyse cette photographie et décrit tout ce quelle contient de manière exhaustive”.
Voici le premier résultat :
Merci pour la photo ! Voici une description exhaustive de l’image :
Vue générale :
La scène montre une façade urbaine, probablement dans une petite ville ou un village en France, avec une esthétique rustique et vintage. Les murs sont jaunes à texture granuleuse, les portes en bois et les volets en bois peint témoignent d’une certaine usure, renforçant le charme ancien du lieu.
Murs : Enduit jaune ocre avec une texture rugueuse.
Fenêtres :
-Une grande fenêtre à gauche avec des volets en bois peints en blanc, partiellement fermés. Derrière les vitres, on voit un rideau jaune tiré au centre.
-Une deuxième fenêtre à droite, plus petite, également avec des volets partiellement ouverts et un pot de fleur bleu turquoise sur le rebord.
Portes :
-À gauche, une petite porte en bois grise, avec une figure de pingouin [ce n’est pas un pingouin, mais plutôt un petit ours bleu] peint ou sculpté dessus (probablement décoratif ou pour enfants), entourée d’autocollants et d’affiches usées.
-À droite, une porte en bois marron foncé, massive, avec un motif géométrique circulaire sculpté dans le panneau du bas.
-Un balcon est visible en haut à gauche, avec une rambarde en fer forgé et des plantes en pot.
Affiches et enseignes vintage :
On voit plusieurs enseignes publicitaires anciennes fixées au mur droit, rappelant les années 50-70 :
Castrol : Marque d'huile moteur.
Pile Wonder : Piles électriques ("En vente ici").
Huiles Labo : Huiles industrielles ou automobiles.
Spécial Sport : Marque difficile à lire, intégrée dans un cercle.
Pellicules Kodaks : Pour la photographie argentique.
À gauche de l’image, sur un tuyau de descente d’eau, une autre enseigne :
Butagaz : Fournisseur de gaz, reconnaissable par sa flamme bleue et rouge.
Objets au sol :
-Pots de fleurs à droite, remplis de fleurs jaunes et orangées, apportant de la vie et de la couleur.
-Boîtes et bidons sous la marquise bleue, certains identifiés comme des produits mécaniques ou d’entretien (huile, peinture…).
-Un seau rouge à gauche des marches.
-Deux verres bleus posés sur la petite tablette à gauche.
-Tuyauterie apparente et câble électrique courant le long du mur.
Autres détails :
-Une plante grimpante verte part de la gouttière et s’étale horizontalement vers les fenêtres.
Ambiance générale :
Cette image dégage une atmosphère de nostalgie. Le mélange de vintage, de fleurs colorées, de publicités anciennes et de textures authentiques crée un charme pittoresque. Cela évoque une époque révolue, figée dans le temps, avec un fort caractère visuel.
ChatGPT me fait ensuite une proposition :
Souhaites-tu que je transforme cette description en texte littéraire ou poétique ?
Je réponds : “Oui, en texte littéraire. Inspire-toi de Georges Perec“. Voici le résultat, avec quelques annotations de ma part. J’ai aussi souligné certaines choses paticullièrement intéressantes :
Parfait. Voici une transposition littéraire inspirée du style de Georges Perec, avec attention portée au détail, à l’accumulation et à l’ordinaire rendu extraordinaire :
Il y a, dans cette rue que l’on ne nomme pas, un pan de mur jaune, patiné de lumière et d’usure, qui semble avoir tout vu, tout entendu, tout gardé. Le jaune n’est pas uni : il vibre, il gratte, il accroche la lumière comme une laine rêche. Il est taché, piqué, troué par endroits. Il abrite, sans rien dire, un assemblage hétéroclite d’objets, de signes, de portes, de gestes fossilisés [étrange formule].
Deux fenêtres l’éventrent à hauteur d’étage, deux bouches vitrées aux volets pâlis. L’une a gardé son secret derrière un rideau jaune safran, l’autre entrouvre ses battants pour laisser respirer un pot de fleurs. Les fenêtres ne disent rien, mais elles regardent. Entre elles, un fil court, nerveux, tendu, comme une veine.
Au rez-de-chaussée, deux portes.
L’une, grise, fatiguée, s’incline légèrement sur ses gonds. Quelqu’un – on ne saura jamais qui – y a fixé un pingouin bleu [Ce n’est pas un pingouin], sourire figé, ventre blanc, bras écartés comme un totem bonhomme. Autour de lui, des morceaux d’affiches, déchirées, collées, recollées, vantant des marques oubliées – Jet Gazoil, peut-être.
L’autre, massive, de bois sombre, ferme, sérieuse, ornementée d’un cercle sculpté, presque rituel. Elle a dû être importante. Elle l’est encore, un peu.
Entre les deux, une marquise bleue, suspendue comme un cil fatigué, s’ouvre sur le vide. Dessous, un seau rouge, une boîte d’huile Castrol, un bidon sans nom. Tout est posé là comme s’il devait être utilisé demain, mais que demain ne venait jamais.
Et partout, les signes. Castrol. Pile Wonder. Huiles Labo. Kodaks. Spécial Sport. Butagaz. Des noms accrochés au mur comme des souvenirs de réclames, vestiges d’un monde où les murs parlaient fort. Chaque plaque dit une époque, chaque typo une décennie. Elles sont vissées là, bruyantes, colorées, prêtes à vanter, à convaincre, même si plus personne ne les regarde.
Un petit balcon de fer forgé, rouillé, suspend un pot, un reste de plante sèche. Une vigne, tenace, grimpe le long de la gouttière, puis rampe à l’horizontale, comme si elle voulait fuir la verticalité.
Il y a une table minuscule vissée dans le mur. Deux verres bleus y sont posés [est-ce vraiment des verres ?]. Personne n’y boit. Ce sont des objets en attente, des scènes en veille, des gestes suspendus.
Et tout autour, le silence d’un après-midi chaud, un silence vibrant d’abeilles, de souvenirs, de peinture écaillée.
Ensuite ChatGTP me propose ceci :
Souhaites-tu une suite, dans le même ton ? Ou une version avec une voix plus personnelle, plus intérieure ?
Je demande une suite, pour voir si ChatGPT va commencer a sortir encore plus de la description factuelle.
Voici le résultat :
Avec plaisir. Voici la suite, toujours dans l’esprit de Georges Perec, toujours dans cette minutie du réel qui s’accumule, qui s’infiltre, qui fait monde :
Le trottoir n’est pas tout à fait droit. Il oscille. Il hésite. Il monte un peu, redescend sans raison. Des marches maladroites le découpent en niveaux irréguliers. On dirait une maquette inachevée, ou une pensée distraite [Qu’est-ce qui manquerait à cette maquette ?]. Là, un seau rouge, cabossé, attend quelque chose – l’eau ? une main ? l’oubli ? Près de lui, deux boîtes de conserve, une canette de bière vide [Je ne la vois pas], un bidon d’huile – tout est là, tout est resté là, comme si la rue elle-même avait figé ses mouvements.
Le jardin, ou plutôt le rebord, ou plutôt cette avancée de béton grignotée par les fleurs, déborde de couleurs timides. Du jaune, du orange, un peu de rouge, comme des cris étouffés. Les fleurs ne sont pas plantées, elles sont posées. On les devine dans des pots ébréchés, dans des boîtes détournées, dans une bassine peut-être. Rien n’est fait pour durer. Et pourtant, tout dure.
Le mur, lui, continue de parler. Chaque enseigne, chaque plaque métallique rivée au crépi jauni semble jouer une note différente. Elles ne chantent pas ensemble, mais forment une dissonance familière. Kodaks, en jaune gras sur fond rouge. Juste à côté, un cercle où s’inscrit “Spécial Sport”, comme une balle arrêtée en plein vol [effectivement, elle en donne l’impression]. En dessous, une plaque dit “Huiles Labo”, comme une injonction technique, sévère. Et puis il y a ce “Pile Wonder”, cerclé, centré, presque autoritaire, comme un ordre donné au passant distrait : “Achetez-moi. Croyez en moi.” Mais personne ne passe.
Peut-être qu’il ne s’agit pas d’une maison. Peut-être que c’était une boutique, ou un petit atelier. Quelque chose entre les deux, quelque chose qui vendait sans vraiment vendre, qui vivait sans vraiment ouvrir. Un lieu où l'on entrait sans frapper, ou qu’on regardait sans jamais oser entrer. [ici l’IA se pose des questions. La question, c’est son mode d’interaction habituel]
Et puis il y a cette lumière. Ce soleil qui glisse sur le mur comme un linge [Je ne crois pas que le ciel était ensoleillé, il n’y a pas d’ombre ], qui fait vibrer les textures, qui souligne les fissures, les oublis, les échos d’un passé sans gloire mais sans honte. Une lumière qui semble tout savoir mais ne dit rien.
ChatGPT me propose ensuite ceci :
Souhaites-tu que cette série se prolonge encore, peut-être en décrivant ce qu’on ne voit pas directement : l’intérieur, les sons, les vies imaginées derrière ces murs ?
J’y vois un appel à imaginer un hors-champ, ce que je trouve très créatif. Je réponds “Oui, décrit le hors-champ“ :
Très bien. Voici maintenant le hors-champ, l’imaginaire de ce qui se cache derrière les murs [Je suis surpris par cette idée d’un hors champ sur la profondeur, plutôt que la bordure. Mais c’est assez fidèle à Perec. Ses descriptions méthodiques ne sortent pas de la limite qu’il s’impose. Par contre, dans La vie mode d’emploie, on voit un peu derrière les murs.], ce qu’on ne voit pas mais que tout laisse deviner — toujours dans la lignée de Georges Perec, entre détail prosaïque et fiction discrète :
Derrière la porte de bois foncé, celle avec le cercle sculpté, il y a une pièce. Pas très grande. Elle sent le bois ancien, l’huile de lin, la poussière rangée. Une table en formica gris au centre, légèrement bancale, entourée de deux chaises dépareillées. Sur la table, un cendrier jaune moutarde, un jeu de cartes incomplet, un verre retourné. Le plafond est bas. Une ampoule nue pend, éteinte, comme un œil clos.
Un buffet, en contreplaqué clair, garde dans ses tiroirs des serviettes pliées, des manuels d’utilisation [Une référence au Mode d’emploi du titre de Perec ?], peut-être un passeport expiré. À côté, une radio posée sur une pile de magazines Télé 7 Jours des années 80. Elle grésille parfois. Par habitude, quelqu’un la rallume le matin, pour écouter sans écouter.
Dans le coin, une plante verte, aux feuilles trop grandes pour son pot. Elle vit là depuis longtemps. Personne ne s’en souvient. Elle est devenue meuble, presque idée.
Parfois, un homme descend l’escalier grinçant. Il porte un gilet sans manches, des pantoufles molles. Il fait couler un café dans une cafetière émaillée, verse une goutte de lait, ne sucre jamais. Il s’assoit, sans bruit. Il regarde la porte sans la franchir. Il attend sans attendre.
Derrière la petite porte grise, celle du pingouin [Ce n’est pas un pingouin], il y a un débarras. Une pièce aveugle, saturée d’objets sans hiérarchie. Des pneus. Un landau ancien. Une radio portative. Des bocaux de vis, de clous, de morceaux. Un panneau "Ouvert" qui ne l’est plus depuis longtemps [étrange formule]. Des sacs plastiques suspendus à des clous rouillés, gonflés de rien.
Il y a aussi une odeur d’essence sèche, de métal tiède. Et peut-être, dans le silence, le bruissement d’un souvenir : un enfant qui riait ici, un tournevis qu’on reposait, un sifflement d’oiseau par la lucarne qui n’ouvre plus.
Au-dessus, derrière les volets entrouverts, il y a la vie de quelqu’un. Peut-être une femme, peut-être seule. Un rideau qui bouge quand il y a du vent. Une télévision allumée sans spectateur. Un chat qui dort dans une corbeille posée sur la chaise. Une horloge murale qui retarde de sept minutes. Un calendrier coincé sur mai 1998 [J’ai oublié d’informer ChatGPT que la photo date de 1983.].
Et dehors, toujours, ce mur jaune, ce théâtre silencieux, ce décor immobile d’où l’on ne sort pas, mais où tout entre : le soleil, la poussière, la mémoire.
Puis l’IA me propose ceci : “Souhaites-tu que je continue, peut-être avec un zoom sur un personnage qui habiterait ce lieu ?“. ChatGPT veut toujours aller plus loin, il est très créatif. Mais je veux aller dans une autre direction. Je lui demande ceci “crée une image. Montre moi le débarras derrière la porte grise.”. Bien que déçu par la qualité esthétique du résultat, je suis étonné du résultat :
Produit par ChatGPT, avril 2025
Le voici donc, ce hors-champ. L’invisible imaginé derrière une porte.
Dans cette expérience, j’ai souhaité utiliser l’IA comme révélateur potentiel de ce qu’une image peut contenir, non seulement dans sa représentation, mais aussi dans son pouvoir d’évocation.
Le texte “à la Perec” ressemble parfois trop à une recette ou à un artifice, mais avoir préciser cette nuance dans la requête permet de réduire un peu, ou de diriger, les champs des possibles, souvent beaucoup trop vaste lorsque l’on utilise l’IA.
Je vais continuer les expériences en créant un GPT spécifique à l’analyse d’images photographiques et à l’“entraîner” avec des images et des textes.
Sérendipité photographique
Guido Guidi, Palazzo Abatellis, 1997
Je (re)découvre cette photographie du photographe italien Guido Guidi, prise à Palerme en 1997. Elle représente une sculpture en marbre (hauteur 50 cm), réalisée par l'artiste italien Francesco Laurana vers 1468, aujourd’hui conservée au Palazzo Abatellis de Palerme. Cette image fait partie de la rétrospective Guido Guidi intitulée Col tempo, 1956-2024 présentée au MAXXI Museo nazionale delle arti del XXI secolo à Rome du 13 décembre 2024 au 27 avril 2025. Elle illustre un article consacré à cette exposition, publiée sur le site 1000 Words.
J’ai été surpris de reconnaître la sculpture que j’avais photographiée à Palerme en mai 2024, soit vingt-sept ans plus tard, dans le même lieu. L’angle de vue est légèrement différent mais surtout, il y a cette personne, à droite, devant la sculpture et un peu sous son regard.
Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, 2024
Ce qui m’a d’abord interpellé dans l’image de Guido Guidi, c’est la couleur verte du mur du fond. C’est cette teinte qui a réveillé le souvenir : j’avais déjà vu cette sculpture et ce lieu, quelque part.
Cette découverte fortuite, cette expérience de sérendipité, bien que sans enjeu majeur, révèle quelque chose du mécanisme de la mémoire visuelle et de son influence, souvent inconsciente, dans la décision de photographier telles ou telles sujets.
L’une des raisons de ma visite au Palazzo Abatellis était liée au film Palermo shooting de Wim Wenders, dans lequel le tableau monumental Le Triomphe de la Mort (artiste inconnu, XVe siècle, collection du Palazzo Abatellis) joue un rôle important. Dans le film, le personnage principal, un photographe, est attiré par une restauratrice du Palazzo Abatellis qui travaille précisément sur cette oeuvre. C’est un autre photographe, rencontré par hasard quelques heures plus tôt au Jardin botanique de Palerme, qui m’avait parlé de ce musée, de ce tableau, et de ce film.
Le Triomphe de la Mort, artiste inconnu, 15e siècle, collection du Palazzo Abatellis
Scène du film Palermo Shooting, de Wim Wenders. La restauratrice, devant Le Triomphe de la Mort.
Curieusement, je n’ai pas photographié Le Triomphe de la Mort. En revanche, j’ai capté des scènes de restauration, des fragments de ruines.
J’ai par contre photographié des scènes de restaurations et des fragments :
Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024
Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024
Photo : Alain Depocas, Palazzo Abatellis, Palerme, mai 2024
Et puisque l’on parle de rencontre et de photographes, Letizia Battaglia, célèbre photographe de la mafia de Palerme, apparaît elle aussi dans Palermo Shooting. Elle y échange avec le personnage principal. C’est un bel hommage de Wenders à cette photographe, à qui fait bien entendu beaucoup pensé le titre du film, où le terme shooting fait autant référence au tir qu’à la captation photographique.
Cette série de hasards – rencontre, cadrage, couleur, coïncidence – illustre bien ce que peut être la sérendipité. Chaque image devient alors un point potentiel de contact entre passé et présent, entre œuvres, souvenirs, personnes et concepts.
—————————————————
Site web de l’exposition de Guido Guidi au MAXXI : https://www.maxxi.art/events/guido-guidi-col-tempo-1956-2024/
Page Wikipédia à propos du film Palermo shooting (Rendez-vous à Palerme): :https://fr.wikipedia.org/wiki/Rendez-vous_%C3%A0_Palerme
Page Wikipédia à propos de Letizia Battaglia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Letizia_Battaglia
Route de la belle Etoile, de Daniel Stephen Homer
Photo : Daniel Stephen Homer
Dans la série Les Livres de ma bibliothèque
Le livre Route de la Belle Etoile, du photographe britannique Daniel Stephen Homer, publié chez GOST Books en 2024, propose un corpus photographique portant sur l’univers des astronomes amateurs. Pour produire ces images, le photographe a parcouru quatre continents, sur une période de cinq ans, et a suivi les activités majoritairement nocturnes d’amateurs solitaires et de groupes d’astronomes.
Les images sont en noir et blanc, profondes, souvent très sombres, parfois presque abstraites. On y ressent la patience de l’observation. Les photographies dévoilent des lieux, des équipements et leurs protections, en pleine nature, ou encore des observateurs du ciel devant leurs écrans.
Photo : Daniel Stephen Homer
Photo : Daniel Stephen Homer
Homer a photographié des astronomes amateurs, leurs observatoires et leurs appareils, en Australie, en Belgique, au Canada, en Finlande, en France, en Allemagne, en Inde et au Royaume-Uni. Les installations et les équipements sont de niveaux divers, mais reflètent invariablement la passion de leurs utilisateurs. Le monde de l’astronomie amateur est très structuré et ses membres sont interconnectés et participent souvent à des recherches collectives.
Photo : Daniel Stephen Homer
Photo : Daniel Stephen Homer
Le titre du livre, Route de la Belle Etoile, fait penser au voyage, à la nuit, à l’orientation nocturne, mais sa source est plus triviale. Il s’agit du nom d’un petit chemin menant à la maison de l’un des astronomes amateurs rencontrés par le photographe, en Isère.
Le livre se compose de 51 photographies, d’une liste des images avec une brève description de chacune, ainsi que d’un petit journal de bord qui donne quelques informations sur les observatoires et groupes d’astronomes photographiés.
Photo : Daniel Stephen Homer
En complément, le livre se termine par une surprenante section composée de 14 reproductions de photographies astronomiques sur plaques de verre, datant de 1887 à 1934. Ces images sont extraites de la Henry Draper Memorial collection, intégrée au Harvard College Observatory.
Ces plaques photographiques ont été annotées, mesurées et cataloguées par un groupe de femmes que l’on nommaient « astronomical computers ».
Henry Draper Memorial collection
Les “Computers”. Henry Draper Memorial collection
Henry Draper Memorial collection
Ce rapprochement entre une série de photographies contemporaines, et les résultats d’observations datant de plus d’un siècle, est intrigant. Le livre ne propose aucune explication à cet égard. Seul un très court texte à propos de ce fonds d’archive et du travail de l’équipe des « computers », ainsi qu’une liste des plaques avec les années de prise de vue et leurs coordonnées. Peut-être que l’une des raisons possibles de la présence de ces anciennes plaques sur verre se trouve dans les liens très forts qui se sont tissés entre l’astronomie et la photographie dès la naissance de cette dernière.
Un autre livre de photographie récemment publié porte également sur l’observation des étoiles et les astronomes amateurs. Il s’agit du livre de la photographe belge Bieke Depoorte intitulé Blinked myself awake, publié par Hannibal & This Book Is True en 2024.
Je n’ai pas eu la chance d’acquérir ce livre pour l’instant, mais ses images noir et blanc et la thématique du livre semblent assez proches de celui de Daniel Stephen Homer.
Photo : Bieke Depoorter
LIENS :
Site de l’éditeur : https://gostbooks.com/products/route-de-la-belle-etoile-route-of-the-beautiful-star
Site du photographe : https://www.danielstephenhomer.com/
Site de la collection de plaques de verres de photographies astronomique de l’Université de Harvard : https://platestacks.cfa.harvard.edu/
À propos du livre de Bieke Depoorte, Blinked myself awake : https://www.tipi-bookshop.be/products/blinked-myself-awake-by-bieke-depoorter
Je vous invite à me contacter pour partager vos commentaires et des suggestions de liens complémentaires.
Au fil de l’eau. Yohanne Lamoulère : Les enfants du fleuve - Les Rencontres de la photographie d’Arles, 2023
Photos : Yohanne Lamoulère
La série Les Enfants du fleuve de la photographe marseillaise Yohanne Lamoulère a été présentée aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2023. Les images étaient présentées sur des panneaux extérieurs, disséminés dans le Jardin D’été. Cette série a été produite dans le cadre de la Grande commande photojournalisme de la BNF, intitulée Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire.
Vue de l’exposition à Arles en 2023. Photo : Alain Depocas
La photographe a remonté le Rhône en bateau, sur 812km, depuis la Camargue jusqu’au glacier et, au fil de l’eau, durant quelques mois, elle a réalisé des images argentiques des paysages et des gens rencontrés. La genèse du projet n’est pas banale. Après avoir passé une année entière, durant la pandémie, sur une île sauvage située dans le delta du Rhône, où elle a réalisé des portraits d’enfants et de jeunes adultes, elle a eu envie de remonter le fleuve. Pour ce faire, la photographe a construit une embarcation à partir de matériaux de récupération : Anita, c’est le nom du bateau, naît de la rencontre inattendue d’une péniche abandonnée et d’une vieille caravane.
Photos : Yohanne Lamoulère
En observant ces photographies, on ressent bien que la photographe s’est imprégnée de l’environnement et des gens qui borde et vivent à proximité des rives du Rhône. Il faut du temps, de la patience et de l’implication pour arriver à saisir ce niveau d’authenticité. Les Enfants du fleuve, c’est une série de portraits réalistes, mais parfois aussi humoristiques et poétiques. C’est également, et beaucoup, le portrait du fleuve lui-même. Fleuve environnement, fleuve territoire, fleuve chemin maritime et fleuve géographique.
La présentation en plein air, au Jardin d’été à Arles, des photographies de la série Les Enfants du fleuve rehaussait son intérêt en imposant un parcours dans cet espace public qui incitait le visiteur à découvrir une à une les images, plutôt que d’en avoir une vue d’ensemble immédiate. Ce dispositif donnait du temps aux images, et aux liens entre elles. La proximité du Rhône n’était pas anodine et donnait un supplément de sens à la présence de cette série dans ce lieu.
Photo : Yohanne Lamoulère
Photos : Yohanne Lamoulère
Des images de cette série sont présentées sur le site Web de la photographe.
Ce texte s’inscrit dans une réflexion sur mon intérêt pour des projets photographiques ayant pour sujet des cours d’eau, sur lequel portent deux autres textes, que je vous invite à découvrir :
Lucas Leffler : Zilverbeek - Silver Creek, The Eriskay Connection, 2019
Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques
Livres et ressources à propos de l’impact environnemental de la photographie
Dès ses débuts, la production d’images photographiques impliquait l’utilisation de matières devant être extraites et produites et ces activités ont toujours eu un impact environnemental.
Je vous propose quelques livres et ressources à propos de ces questions :
Boaz Levin, Esther Ruelfs et Tulga Beyerle : Mining Photography: The Ecological Footprint of Image Production, Spector Books, 2022
Ce livre accompagnait l’exposition éponyme présentée au Museum für Kunst und Gewerbe (MK&G) à Hambourg en 2022. Il s’agit d’un ouvrage fascinant et très ambitieux qui retrace les liens entre la photographie et son empreinte écologique depuis son invention jusqu’à l’ère numérique. Le livre propose des essais théoriques, des œuvres photographiques récentes et anciennes et des documents d’archives. Ses contenus sont regroupés dans cinq sections, qui portent sur le cuivre et le daguerréotype, le charbon et le bitume, le papier, le coton, la gélatine et la cellulose, l’argent et enfin, les terres rares et l’énergie électrique.
Les liens entre les débuts de la photographie et ceux de l’ère de l’énergie fossile sont plus évidents que ce qui est permis de croire. En effet, comme le font remarquer Boaz Levin et Esther Ruelfs dans l’essai intitulé Photography and Climate Change: The Engine of Reflection, and Its Footprints”, c’est le même Nicéphore Niépce qui a eu l’idée de produire les premières images photographiques en utilisant du bitume de Judée, pour sa propriété photosensible, et qui, avec son frère Claude, a inventé le premier moteur à combustion interne, le Pyréolophore, fonctionnant, lui aussi, avec du bitume, mais ici comme comme carburant.
Ce livre/catalogue est constitué d’essais sur les liens de la photographie avec l’extraction minière et l’empreinte écologique de la production d’images photographiques comme, par exemple un texte de Siobhan Angus intitulé The Eastman Kodak Silver Vault ou encore Extractive Operations: Copper and the Photographic Image, de Brett Neilson.
L’autre volet du livre est de nature iconographique, et propose des photographies de l’industrie minière, et d’autres qui sont plutôt des productions artistiques. Les images sont parfois très anciennes et d’autres plus contemporaines. S’y croisent des daguerréotypes datant du milieu du XIXe sicle ayant pour sujet des mines à ciel ouvert, des photographies du minerai ramené du Mexique par Alexander von Humboldt et conservé dans un musée de Berlin, ou encore une photo de l’œuvre de Land Art de Robert Smithson intitulée Asphalt Rundown, qui fait le lien avec le bitume utilisé dans les premiers temps de la photographie comme matière photosensible.
Robert Smithson
Siobhan Angus, Camera Geologica, An Elemental History of Photography, Duke University Press, 2024
Cet ouvrage reprend la structure thématique du précédent, avec une approche plus théorique, qui analyse l’histoire de photographie à travers sa dépendance pour les minerais variés qui lui furent vitaux, telle que le platine, le bitume et l’argent, et plus tard le plutonium et les terres rares. Le livre porte aussi sur l’histoire croisée de la photographie et de l’extraction minière à grande échelle.
Voir la critique du livre de Siobhan Angus par Carolin Görgen, dans Photographica, no. 10, 2025
Transbordeur Photographie, numéro 8 (2024) : Les histoires écologique de la photographie.
Ce numéro du périodique suisse Transbordeur photographie est consacré aux liens entre la photographie et l’écologie et explore diverses manières de réfléchir à l’articulation entre la photographie et l’écologie depuis le XIXe siècle. Tout comme les deux livres précédents, ce numéro aborde la physicalité de la photographie et ses recours à des substances et à des matières prélevées dans l’environnement, avec entre autres des articles ayant pour titres “Du Cibachrome relativement toxique. Eaux usées de la photographie et production d’images en couleurs“ ; “Verre et poussière. L’hygiène photographique à l’ère industrielle” et “Compositions chimiques. La. photographie et le commerce mondial des produits chimiques au tournant du XXe siècle“. Le numéro contient également des articles portant sur l’usage de la photographie comme mode de documentation de la nature, de l’environnement : “Photographier le climat. Les images des ingénieurs des Eaux et Forêts (1878‑1914) : contribution à une histoire visuelle de l’environnement“ et “Quadrats photographiques. Savoir visuel et méthodologie aux prémices de l’écologie scientifique”.
Un des intérêts de numéro de Transbordeur photographie est d’à la fois démontrer les impacts écologies de la photographie et le rôle de celle-ci pour en quelque sorte la mesurer en documentant la nature et l’environnement.
Je n’ai pas encore lu ces deux livres ni ce périodique, qui patientent sagement dans ma bibliothèque et sur Internet, mais j'en ferai des comptes-rendus plus détaillés quand ça sera fait.
This Is Not A Solution, London Alternative Photography Collective, XYZ Books, sous la direction d’Hannah Fletcher, 2019
This Is (Still) Not A Solution, London Alternative Photography Collective, sous la direction d’Hannah Fletcher, 2020
Ces deux petits ouvrages émanent des travaux du London Alternative Photography Collective qui fait la promotion de techniques photographiques analogiques respectueuses de l’environnement.
Ces livres sont des guides techniques, mais contienne également des exemples d’images produites avec des méthodes respectueuses de l’environnement. Une approche théorique venant lier le tout.
Pour terminer, je signale la thèse universitaire de Edward Maughan-Carr, produite en 2019 et qui est disponible en ligne et s’intitule The Ecology of Grain: An Ecological Analysis of Gelatin in Photographic Film.
Dans ce texte, l’auteur remet en question d’un point de vue éthique et écologique l’exploitation animale nécessaire pour produire la gélatine qui fut essentielle comme liant des matières photosensibles dans les pellicules photographiques.
En pour vraiment terminer, voici une initiative qui intègre deux de mes principaux intérêts, soit le livre de photographie et le respect de l’environnement : le Sustainable Photobook Publishing (SPP) network, un groupe de photographes, éditeurs, universitaires et écrivains qui échangent et partagent leurs connaissances sur les approches écologiquement responsables de l'édition de livres photo imprimés.
Le site de l’organisme contient de nombreuses références, une liste de ressources et des études de cas.
Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques
Photo : Mark Ruwedel
Certaines thématiques prégnantes se dégagent et relient divers projets photographiques, influençant les choix d’acquisition de livres photographiques ainsi que l’intérêt pour certaines démarches artistiques.
En ce qui me concerne, je ressens un grand intérêt pour des livres photographiques dont la thématique porte sur des cours d’eau.
En voici quelques exemples présents dans ma bibliothèque :
Mark Ruwedel, Rivers Run Through It, Los Angeles: Landscapes of Four Ecologies, Volume 1, publié par Mack en 2023
Ce livre présente des photographies noir et blanc réalisées entre 2015 et 2023, documentant les rivières du bassin de Los Angeles. On y voit la nature abîmée par l’homme, des traces de présence humaine, quelques animaux. Ruwedel documente méthodiquement cet espace qui reste un rare lieu naturel de la ville tentaculaire.
Photos : Mark Ruwedel
Louis Perreault, Les affluents, Éditions du Renard, 2019
Dans ce livre, le photographe québécois Louis Perreault photographie les nombreux affluents du ruisseau Gobeil, situé dans les Laurentides. La série d’images est à la fois une documentation de l’environnement entourant ces cours d’eau, et une œuvre très personnelle où se rejoignent la nature et l’humain et dans laquelle se dévoile progressivement un faisceau de relations entre des éléments pourtant distincts, tel le vol d’un oiseau, l’ombre d’une main sur une pierre, le feu et la force du courant d’un ruisseau au printemps. Un curieux index placé à la fin du livre révèle partiellement le sens des images et de leurs relations avec leurs contextes : parfois des gestes, parfois du mouvement, parfois un détail qui détermine une image.
Photos : Louis Perreault
Geoffroy Mathieu : La mauvaise réputation, Zoème, Marseille, 2020
La mauvaise réputation, c’est celle du ruisseau des Aygalades, qui traverse Marseille. Les 17 kilomètres du ruisseau relient Septèmes-les-Vallons, dans la banlieue Nord de Marseille, à la Méditerranée. Il est canalisé, parfois couvert, beaucoup délaissé, et revit progressivement grâce à des associations attachées à le revaloriser.
Geoffroy Mathieu a réalisé son projet et collaborant avec ces associations. Son livre est un portait de ce ruisseau, le long de son lit, avec son environnement parfois naturel, parfois urbain, parfois industriel ou post-industriel. Le photographe nous montre sans jugement à la fois sa beauté, sa destruction, sa pollution. Bien que nettoyé par des équipes de bénévoles, le ruisseau est souvent jonché de déchets à plusieurs endroits. Le photographe explique sa démarche et affirme avoir tenté d’éviter d’esthétisme son sujet :
: « J’hésitais un temps à photographier cette beauté tragique de peur d’esthétiser à outrance le réel, ce dont se méfient à juste titre les processus de représentation documentaire. […] je décidais de considérer le ruisseau comme une entité digne d’égard et d’empathie à qui je devais respect et honnêteté (plutôt que comme un objet ou un phénomène à documenter). Je choisis alors de photographier avec la même attention toutes ses beautés, sans distinction, celles dites propres ou naturelles et celles dites sales, c’est-à-dire en réalité non solubles dans le cycle du vivant. J’ai vu dans cette posture, le moyen d’être fidèle à mes émotions et ainsi peut-être de produire des images susceptibles de participer à la lutte que d’autres, citoyens, ont entreprises pour sa réhabilitation. »
Photos : Geoffroy Mathieu
J’ai déjà parlé du livre de Lucas Leffler Zilverbeek - Silver Creek, publié en 2019 dans un article précédent. C’est ce livre qui m’a poussé à regrouper des ouvrages photographiques portant sur des cours d’eau. Je vous invite à lire, si ce n’est déjà fait, mon article : https://www.alaindepocas.net/carnet/lucas-leffler-zilverbeek-silver-creek-the-eriskay-connection-2019
S’ajoute à cela mon récent texte à propos du projet Les enfants du fleuve de Yohanne Lamoulère.
Lucas Leffler : Zilverbeek - Silver Creek, The Eriskay Connection, 2019
Dans la série Les Livres de ma bibliothèque
L’intérêt pour la photographie, et en particulier pour les livres photographiques, conduit parfois à une réflexion visant à mieux comprendre les mécanismes qui orientent les préférences envers certains photographes et ouvrages plutôt que d’autres. Certes, une part d’impulsivité ou d’attraction esthétique entre en jeu, mais l’influence de thématiques récurrentes est également perceptible. Ces thématiques agissent comme des fils conducteurs, établissant des correspondances entre différents éléments au sein d’une collection de livres photo.
Pour ma part, j’ai un grand intérêt, en photographie, pour les paysages, la nature, l’environnement, tout comme pour les ruines, les choses disparues ou en voie de l’être, et aussi pour ce qui est parfois invisible dans une image, mais, qui pourtant, fut là.
Et au sein de ces intérêts, il y a entre autres les cours d’eau et ce qui lie la photographie non numérique aux éléments chimiques et minéraux nécessaires à sa production et leurs impacts sur l’environnement.
Le livre de Lucas Leffler, Zilverbeek - Silver Creek, est précisément au confluent de ces deux sujets.
Lucas Leffler, photographe belge né en 1993, s’intéresse à la disparition progressive de l’industrie argentique, marquée par la fermeture successive de plusieurs sites de production emblématiques, notamment les usines Kodak à Rochester (États-Unis) et à Chalon-sur-Saône (France), ainsi que celles d’Ilford à Manchester (Royaume-Uni) et d’Agfa-Gevaert près d’Anvers (Belgique).
C’est dans cette usine flamande qu’il découvre, au sein des archives de la firme, un article d’un journal local, publié en 1973, faisant état d’un ruisseau, le bien nommé Zilverbeek (le ruisseau d’argent), dans lequel l’usine déversait des résidus industriels qui contenais une certaine quantité d’argent, matière indispensable à la production de films photographiques dont le principal agent photosensible se composait de sels d’argent.
Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler
L’article faisait mention d’un ouvrier de l’usine qui avait découvert, à partir de 1927, la forte teneur en argent des boues du ruisseau. Il mit alors secrètement au point un procédé permettant de récupérer l’argent contenu dans les boues du ruisseau. Après les avoir asséchées, il les transportait vers une usine métallurgique locale afin d’en extraire le métal précieux. Grâce à cette méthode, il parvenait à récupérer environ une demi-tonne d’argent par an, un gain bien supérieur à son salaire à d’usine, qu’il quitta d’ailleurs pour se consacrer entièrement à ce petit commerce.
Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler
Tout cela nous fait comprendre le sens du court texte imprimé au verso du livre : « C’est l’histoire d’un homme qui prend de la boue dans un ruisseau et la transforme en argent »
De nos jours, l’usine a depuis longtemps cessé ses activités et les boues du petit ruisseau ne contienne plus d’argent.
Leffler prend le parti de considérer le récit de l’ouvrier comme un mythe, révélateur de l’époque de ce que l’on a appelé la période argentique de la photographie, ce qui l’incite à développer une série d’expérimentations à partir des boues du ruisseau, des archives de l’usine, et de photographies prises dans la zone du ruisseau et de l’usine elle-même.
Zilverbeek - Silver Creek, est composé de trois sections. La première montre des photographies d’archives, datant probablement des années 1930-1960, où l’on voit des ouvriers s’affairer à la production, des machines ainsi que des photos de l’usine elle-même. La deuxième section, composée de deux pages imprimées sur un papier cartonné, contient un court texte relatant l’Histoire des rejets d’argent dans le ruisseau, ainsi que son extraction par l’ouvrier, accompagné de photographies d’archives de l’usine, en négatif. Enfin, la troisième section contient des photographies contemporaines prises par Leffler dans la zone du ruisseau. Celles-ci sont parfois assez métaphoriques, ne dévoilant pas directement leurs sujets, tels que des vues de la végétation autour du petit ruisseau, ou encore un homme debout avec une pelle et un seau, dans le brouillard. On devine qu’il s’agit du photographe, qui s’apprête, à l’instar du pionnier qui l’a précédé, de prélever de la boue au fond du Zilverbeek afin d’y rechercher des traces d’argent. D’autres images montrent un bac de développement photographique enduit de boue et une pelle souillée de cette même matière.
Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler
Photo : Lucas Leffler
Photos : Lucas Leffler
Leffler a ensuite utilisé cette matière pour créer des « empreintes de boue » grâce à une technique de sérigraphie, dont une reproduction a été intégrée sous forme d’affiche dans le livre, à l’endos de laquelle on retrouve le texte de l’article de journal de 1973.
Mais ces boues ne contenaient plus d’argent. Leffler a donc dû ajouter de la matière sensible à la boue pour produire des images :
« Initialement j’altérais mes plans-films pour obtenir des taches et un rendu plus sombre. J’ai ensuite essayé d’ajouter à cette matière organique des couches de nitrate d’argent en gélatine liquide de manière à travailler la boue comme un papier photo et donc la rendre photosensible. J’effectue mes prises de vue en argentique ou en numérique que je transfère ensuite sur un négatif utilisé en chambre noire pour un tirage mudprint. »
Photo : Lucas Leffler
Et c’est ainsi que l’on constate que pour le photographe, ces expériences sont des sortes de tentatives de réinterprétation de ce qui fut au cœur de la production photographique avant le numérique, soit la photosensibilité de matières physique.
Leffler affirme que cette histoire l’a « d’abord intéressé pour la véracité des faits. C’est bien parce que cette histoire fabuleuse a réellement eu lieu que j’en ai fait une recherche. Mais, j’ai tenté de réinterpréter ces faits en les fictionnalisant. En me mettant moi-même en scène près du ruisseau, comme si j’étais l’ouvrier orpailleur (ou argentpailleur)». Leffler cite l’historien et théoricien Michel Poivert, qui affirme que : « Depuis une génération, la photographie connaît un courant sensible à sa rematérialisation alors que la culture numérique s’est imposée ».
Pour Leffler : « Le cœur de Zilverbeek c’est surtout la mythologie industrielle d’une pollution qui a abouti à créer un ruisseau d’argent. Mes photographies permettent de donner corps à ce qui semble une fable, un conte de fées. ».
« Donner corps », rendre visible, même métaphoriquement, un procédé disparu.
Dans ses expérimentations, la boue est autant la substance photosensible, que le « support » à une image, aussi difficile à percevoir soit-elle.
Leffler affirme n’avoir « […] jamais réellement extrait d’argent de cette boue comme il n’y en a plus depuis 50 ans. Par contre, il y a une dimension performative à ce travail, dans le sens où je revisite une histoire passée que je tente de réactiver par le biais de l’enquête et de la mise en scène ».
Ce livre témoigne parfaitement de cette pratique, faite de recherches dans les archives et sur le terrain, et d’expérimentation, et dont le plus grand intérêt est de dévoiler de manière subtile le processus même de la démarche de l’artiste.
Le travail de terrain et les expérimentations de Leffler ont ensuite évolué et une production importante d’œuvres en a résulté. Le livre ne contient qu’une seule des images réalisées avec la boue du Zilverbeek, mais on retrouve de nombreuses reproductions de ce corpus dans un document numérique disponible sur le site de l’artiste.
Extrait du livre Zilverbeek, de Lucas Leffler
Comme je le mentionnais au début de ce texte, je m’intéresse aux livres photographiques portant d’une manière ou d’une autre aux cours d’eau, ainsi qu’a la question de l’impact environnemental de la photographie de puis ses débuts.
Je vous invite à lire mes deux articles à ce propos :
Livres et ressources à propos de l’impact environnemental de la photographie
Les cours d’eau comme thématique de certains livres photographiques
LIENS EXTERNES ET RÉFÉRENCES :
Site de l’éditeur de Zilverbeek : https://www.eriskayconnection.com/zilverbeek/
Vidéo de défilement des pages de Zilverbeek : https://vimeo.com/345891261
Document visuel des œuvres de Lucas Lefler, sur son site Web : https://drive.google.com/file/d/1ElD5ZwsxJeqjadmgiyV_d8oGNjhLRc6w/view
« Zilverbeek, c'est l'histoire d'un homme qui transforme la boue en argent" : Rencontre avec Lucas Leffler ». : https://phototrend.fr/2021/11/zilverbeek-lucas-leffler-boue-en-argent/
L'ouvrier qui transformait la boue en argent dans Zilverbeek (Silver creek) :
https://fisheyemagazine.fr/article/louvrier-qui-transformait-la-boue-en-argent/
Mayumi Suzuki : The Reconstruction Will
Voici ma cinquième publication de la série Pourquoi je me passionne pour la photographie.
J’ai été frappé par l’intensité du travail de la photographe japonaise Mayumi Suzuki qui porte sur le décès de ses parents suite au Tsunami qui a détruit leur ville, Onagawa, le 11 mars 2011. La catastrophe y avait fait près de 900 disparus
La photographe est allée sur place quelques jours après le Tsunami, dans l’espoir de retrouver quelques souvenirs et de réaliser son deuil. Elle cherchait une manière de rendre hommage à ses parents. Elle souhaitait exaucer ce qu’elle appelle un « veux de reconstruction ».
Le résultat est une série d’images et un livre intitulés Reconstruction Will.
Le père de la photographe était également photographe. Dans les décombres de la maison familiale, Mayumi Suzuki retrouve quelques objets : un appareil photo, les restes d’une chambre noire et des albums de photographies, le tout très abimés.
Photo : Mayumi Suzuki
Elle entreprends alors son projet de reconstruction en tentant de restaurer des photographies et de les exposer dans leur nouvel état, qui porte les traces de la catastrophe.
Photo : Mayumi Suzuki
Je m’intéresse beaucoup à la matérialité de la photographie, et à sa fragilité inhérente. Je m'intéresse aussi à la Méta-photographie, la photographie à propos de la photographie, comme on en retrouve dans ce projet
Photo : Mayumi Suzuki
J’ai eu la chance de découvrir le travail de cette photographe aux Rencontres photographiques d’Arles en septembre 2024. Son travail était présenté dans le cadre de l’exposition Répliques – 11/03/11, des photographes japonaises et japonais face au cataclysme.
Photo : Mayumi Suzuki
Ces témoignages de la fragilité de l’épreuve photographique m’ont également rappelé une exposition vue la veille, celle des images de Sophie Calle, présentées aux cryptoportiques, soit les sous-sol et fondation de la ville antique d’Arles. Ce lieu extrêmement humide et bien fourni en moisissures achevait la destruction déjà entamée par un dégât des eaux d’une série de photographies, et plus précisément celle intitulée Les aveugles. La volonté de Sophie Calle était de montrer une dernière fois ces images dont l’intégrité physique était déjà fragilisée par l’eau et l’humidité.
Le site de la photographe japonaise : https://www.mayumisuzuki.jp/therestorationwill
Le site de l’éditeur de son livre : https://www.ceibaeditions.com/store/books/the-restoration-will/
Un texte de l’artiste sur le projet, avec beaucoup d’images : https://www.lensculture.com/articles/mayumi-suzuki-the-restoration-will
Je vous invite à me faire parvenir vos commentaires et suggestions de liens complémentaires..
- Paysage
- Livre
- Dans ma bibliothèque
- Environnement
- Analyses et descriptions de mes photographies
- Argentique/Analogique/Alternatif
- Documentaire
- Intelligence artificielle
- Sérendipité
- Matérialité de la photographie
- Parallèle / Dialogue photographique
- Exposition
- Impact environnemental de la photographie
- Surimpression
- Métaphotographie
- Mission photographique
- Photographie et marche
Thin Air, par Cemil Batur Gökçeer
Voici ma quatrième publication de la série Pourquoi je me passionne pour la photographie.
Elle a cette fois-ci pour sujet non pas un livre, mais une exposition, celle du photographe turc, et même Stambouliote (ici je me fais plaisir avec ce cocasse gentilé) Cemil Batur Gökçeer, que j’ai découvert aux Rencontres de la photographie à Arles en septembre dernier.
L’exposition présentait son projet intitulé Thin Air, dans lequel le photographe soumet ses pellicules 35mm à de doubles et parfois triples expositions. Ce processus laisse beaucoup de place à l’aléatoire des combinaisons de motifs, textures, couleurs, lumières et produit des images qui ne se laisse pas déchiffrer facilement, gardant pour elle un certain mystère.
On retrouve dans ces images des motifs minéraux, aériens, parfois aussi des personnes, beaucoup d’interstices et aussi du feu. le tout, en se combinant, produit de nombreuses possibilités de lecture. Les expérimentations du photographe rapprochent des objets non contigus dans une même image, créant un surplus potentiel de sens.
Photo : Cemil Batur Gökçeer
Comment le photographe décide-t-il des sujets à accumuler dans une même photographie ? Est-il conscient des effets à produire lors des prises de vues ? Je ne le sais pas. Il laisse entendre qu’il maîtrise en partie le processus, en retournant, par exemple, sur la face opposée d’une montagne pour réimprégner une pellicule où s’était déjà inscrite l’autre face, quelques semaines ou mois auparavant.
Photo : Cemil Batur Gökçeer
Quoiqu’il en soit, pour ma part, je suis intrigué par ces images qui m’incitent à tenter de percevoir ce qu’elles contiennent de manière indirecte et ambiguë. N’est-ce pas étrange que l’accumulation de captations soit disant fidèles du « réel » par la photographie produise des images ambivalentes ou indécises ?
Lien vers le site du photographe : https://cemilbaturgokceer.net/Thin-Air
Lien vers la page web de l’exposition à Arles : https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1556/cemil-batur-gokceer
Je vous invite à me faire parvenir vos commentaires et suggestions de liens complémentaires..
- Paysage
- Sérendipité
- Surimpression
- Métaphotographie
- Matérialité de la photographie
- Mission photographique
- Livre
- Parallèle / Dialogue photographique
- Exposition
- Photographie et marche
- Analyses et descriptions de mes photographies
- Documentaire
- Environnement
- Intelligence artificielle
- Impact environnemental de la photographie
- Argentique/Analogique/Alternatif
- Dans ma bibliothèque
Charbon blanc, du photographe belge Teo Becher
Dans la série Les Livres de ma bibliothèque
Dans son livre Charbon blanc, le photographe belge Teo Becher explore une ancienne vallée industrielle dans les Alpes françaises. Sans parenté avec Bernd et Hilla Becher, Teo Becher partage tout de même avec eux un intérêt pour les sites industriels.
Le livre, dont je me suis procuré un exemplaire à Arles en septembre 2024, a été publié en 2021 par les Éditions le bec en l’air, à Marseille.
Dans ce livre, dont le titre réfère à une expression ancienne pour nommer l’hydroélectricité, Teo Becher témoigne de la réalité à la fois industrielle et montagneuse de la vallée de la Maurienne, dans les Alpes françaises. Cette vallée fut autrefois truffée d’usines de production d’aluminium qui profitaient de la présence de barrages hydroélectriques à proximité.
Photo : Téo Becher
Les photographies de Becher évoquent à la fois ce passé industriel et la nature montagnarde.
Becher travail avec des pellicules argentiques, de grand ou moyen format. Afin d’évoquer à la fois la matérialité photosensible des films , ainsi que les traces laissées par le passé industriel dans les sols de la vallée, Becher a enterré une partie de ses négatifs couleur pour des périodes de quelques mois. À quelques occasions, l’expérience a laissé des marques sur les négatifs, que l’on retrouve sur les images du livre.
Photo : Téo Becher
Ce processus implique une autre manière d’exposer la pellicule à un environnement. Avant son exposition à la lumière, et à l’organisation euclidienne qu’impose l’objectif, la pellicule est soumise aux traces souterraines. Celles-ci restent mystérieuses. Le photographe laisse penser qu’il pourrait entre autres s’agir d’un effet des matières industrielles et potentiellement radioactives, encore présentes dans le sol, mais cela reste hypothétique. Dans un texte qui résume le passé industriel de la Maurienne, Becher évoque plutôt sa démarche comme étant un acte performatif :
“Dans cet acte performatif, je ne cherche pas à imprimer les traces d’une potentielle radioactivité présente dans le terrain, mais j’y fait immanquablement référence, en laissant la parole aux paysage tout en évoquant l’histoire des sciences et l’utilisation du territoire que en découle “
Ces photos “souterraines”, quasi abstraites, sont imprimées sur des pages en partie non massicotées, de manière à les dissimuler, augmentant leur aspect mystérieux.
Teo Becher, Charbon blanc.
Photo : Téo Becher
Le photographe a fait de nombreux séjours dans la vallée de la Maurienne et y a beaucoup marché. Le rapport de la marche avec la photographie est fréquent dans les pratiques photographiques. Il renforce le lien entre l’acte photographique et le sujet. Sujet photographe et sujet photographié. Marché dans un environnement donné c'est aussi s’y exposer
Le portrait de cette vallée que réalise Becher n’est pas que lié à ses antécédents industriels, c’est aussi un témoignage du temps passé par le photographe dans la région. Certaines images sont plus intimes, on devine une petite chambre, un rideau, une lampe. En extérieur, outre les montagnes et anciennes usines, il y a ausi des images moins évidentes, comme des pas dans la neige, ou une chute d’eau en glace. Celle ci évoque d’ailleur la fixation du temps par le processus photographique.
Photo : Téo Becher
Photo : Téo Becher
Lien vers le site web du photographe : https://teobecher.be/
Lien vers le site de l’éditeur : https://www.becair.com/produit/charbon-blanc/
Lien vers une entrevue avec Teo Becher : https://www.fisheyemagazine.fr/rdv/livre/charbon-blanc-teo-becher-lalchimiste-des-alpes/
- Paysage
- Livre
- Dans ma bibliothèque
- Environnement
- Analyses et descriptions de mes photographies
- Argentique/Analogique/Alternatif
- Documentaire
- Intelligence artificielle
- Sérendipité
- Matérialité de la photographie
- Parallèle / Dialogue photographique
- Exposition
- Impact environnemental de la photographie
- Surimpression
- Métaphotographie
- Mission photographique
- Photographie et marche
Virginia Hanusik : Into the Quiet and the Light: Water, Life, and Land Loss in South Louisiana
Voici ma deuxième publication de la série Pourquoi je me passionne pour la photographie.
Après Mark Ruwedel, je vous propose des images de la photographe américaine Virginia Hanusik qui documente depuis plusieurs années l’estuaire du fleuve Mississippi, au sud de la Louisiane.
On y voit un monde fragilisé par les changements climatiques et la pollution, qui laisse entrevoir des situations encore plus dramatiques dans l’avenir.
Photo : Virginia Hanusik
Virginia Hanusik documente le processus immuable de disparition d’un territoire, et de l’adaptation, bien temporaire, de ses habitants face à la montée des eaux.
Les images que je vous propose sont extraites de sa série "Into the Quiet and the Light: Water, Life, and Land Loss in South Louisiana".
La photographe vient d’ailleurs de publier un livre au même titre, édité par la Columbia Universitity Press : https://cup.columbia.edu/book/into-the-quiet-and-the-light/9781941332825
Lien vers le site Web de la photographe : https://www.virginiahanusik.com/
Lien vers un article intéressant à propos du livre : https://aperture.org/editorial/in-louisiana-a-photographer-charts-storms-and-weather-as-markers-of-time/
Enfin, ces images du Bayou louisianais me remettent en mémoire le magnifique film Beasts of the Southern Wild, réalisé par Benh Zeitlin en 2012. Une fable fantastique se déroulant dans un environnement pour le moins humide : https://en.wikipedia.org/wiki/Beasts_of_the_Southern_Wild
Je vous invite à me faire parvenir vos commentaires ou des suggestions de liens complémentaires.
Photo : Virginia Hanusik
Photo : Virginia Hanusik
Photo : Virginia Hanusik
- Paysage
- Livre
- Dans ma bibliothèque
- Environnement
- Analyses et descriptions de mes photographies
- Argentique/Analogique/Alternatif
- Documentaire
- Intelligence artificielle
- Sérendipité
- Matérialité de la photographie
- Parallèle / Dialogue photographique
- Exposition
- Impact environnemental de la photographie
- Surimpression
- Métaphotographie
- Mission photographique
- Photographie et marche
Mark Ruwedel, Steidl, 2015
Photo : Mark Ruwedel
Dans la série Les Livres de ma bibliothèque
Le livre du photographe Mark Ruwedel intitulé Mark Ruwedel, a été publié par Steidl en 2015 à l’occasion de l’obtention du prix Scotiabank Photography Award. L’approche de Ruwedel du paysage, du territoire, me semble exemplaire. Proche de la sensibilité topographique des premiers photographes de l’Ouest américain du XIXe, mais aussi des inventaires formels à la Becher. Ce livre présente un échantillon des principaux grands projets photographiques de Ruwedel, dont The Italian navigator, The ice age, Westward the course of Empire, Uranium Landscapes, Crossing, et Nine bombs craters.
Ruwedel considère le livre photographique comme étant un mode idéal de présentation de ses photographies, en particulier pour l’importance que l’on peut y accorder aux séries d’images et aux rapprochements, formels ou thématiques, que la maquette permet de faire.
La plupart des séries explorent les paysages de l’Ouest américain selon des trajectoires différentes. Il s’agit d’un travail d’enquête, souvent réparti sur de nombreuses années, avec des approches thématiques rigoureuses. The Italian navigator, Nine bombs craters et Uranium Landscapes s’attardent sur les territoires marqués par les expériences atomiques qui s’y sont déroulées. Westward the course of Empire montre les ruines et les paysages transformés par le développement du chemin de fer au XIXe siècle, desquels il ne reste souvent que des vestiges évanescents, dont le sens ne prend forme que dans l’accumulation d’images que révèlent des motifs récurrents que l’on apprend à reconnaitre dans le paysage.
Photo : Mark Ruwedel
Photo : Mark Ruwedel
La série Crossing est peut-être la plus humainement émouvante et montre ce qui subsiste dans le paysage de la traversée de migrants, soit des objets abandonnés, dispersés sur le territoire, parfois inhospitalier, traversé. Les images de Ruwedel témoignent d’une réalité invisible qui n’apparait furtivement que par quelques traces encore présentes.
Photo : Mark Ruwedel
Cette série, qui porte sur l’invisibilité des migrants, fait penser au livre du photographe américain Raymond Meeks intitulé The Inhabitants qui documente les traces laissées par des migrants dans des campements illégaux abandonnés près de Calais en France ainsi qu’au Pays basque, à la frontière avec l’Espagne.
À la toute fin du livre de Ruwedel se trouve une cartographie des liens entre les thèmes principaux et secondaires de ses projets photographiques, répartie sur une ligne du temps :
Liens et informations complémentaires :
Le lien vers le site Web de l’artiste : https://markruwedel.com/
Le lien vers la page de l’éditeur à propos du livre : https://steidl.de/Books/Mark-Ruwedel-1522376154.html
Un lien vers une entrevue avec le photographe, dans son studio : https://www.youtube.com/watch?v=Kv64hL0VaGg&ab_channel=Tate
Les archives de Mark Ruwedel sont consultables à l’Université Stanford. Le catalogue en ligne permet de constater que deux numéros de la revue québécoise Ciel Variable y sont présents, soit le numéro 20 (automne 1992) dans lequel figurait un portfolio de photographies de Ruwedel (https://cielvariable.ca/numeros/ciel-variable-20-ameriques/mark-ruwedel/) et le numéro 43 (été 1998) qui contenait un texte du photographe intitulé Mark Ruwedel, Pictures of Hell, accompagné de photographies de l’Ouest américain (https://cielvariable.ca/en/issues/ciel-variable-43-territory-and-landscape/mark-ruwedel-pictures-of-hell-mark-ruwedel/ ).
Lien vers le catalogue en ligne des Archives de Mark Ruwedel : https://oac.cdlib.org/findaid/ark:/13030/c8f47x2n/.
Je vous invite à me contacter pour partager vos commentaires et des suggestions de liens complémentaires.